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Le style, « enveloppant et irrésistible comme le murmure des feuilles et le bercement des flots. » Chacun de ses vers « frémit, pleure et s’épand comme les cascatelles d’eau vive qui tremblent et bondissent dans les forêts. » Ajoutez « une solide éducation classique. » Néanmoins, un mauvais maître !

Un mauvais maître, Baudelaire ! Et M. Jean Carrère nous avertit que jamais il n’a cessé de l’aimer : « à cette heure même où je m’apprête à décomposer son œuvre, je prends pour la centième et la millième fois une volupté indicible à me plonger dans l’atmosphère enveloppante et chaude de son génie. » Un mauvais maître, Flaubert ! Or, « de ne pas aimer Flaubert, c’est impossible. Qui fut plus brave que lui, plus fier, plus généreux, plus digne d’être aimé ? Comme elle est belle et désintéressée, sa passion pour la littérature ! Comme il est sans détour, son dévouement à ses amis ! Que ses admirations sont enivrantes ! Que ses haines même sont des preuves de noblesse ! Et son œuvre, quel titanesque effort vers la grandeur ! » Un mauvais maître, Paul Verlaine : et peu de poètes, en France, ont eu un plus charmant génie ; M. Jean Carrère l’a connu et raconte de lui des anecdotes bien attendrissantes. Il est possible que l’on aime ou l’on n’aime pas les romans de Zola. M. Jean Carrère, qui ne donne que douze pages à Flaubert, en donne à Emile Zola trente-trois, nie que nul écrivain, chez nous, « ait eu, de la fonction d’écrivain, une plus haute et plus superbe idée, » l’appelle « la plus ferme et la plus complète réalisation de ce que doit être un écrivain au milieu de la houle sociale, » et enfin le traite de mauvais maître.

Jamais victime, conduite au sacrifice, ne fut parée, enrubannée plus joliment que les victimes de M. Jean Carrère. Il ne ménage pas les éloges, ni les mots glorieux, ni les grandes phrases, et fussent-elles un peu flottantes, mais comme les drapeaux un jour de fête, à ces poètes et prosateurs qu’il a si énergiquement condamnés. Les louanges vont, pour ainsi dire, aux écrivains et aux hommes. Il y a Stendhal, que M. Jean Carrère ne chérissait pas beaucoup. Mais, après avoir demeuré à Rome et à Civita-Vecchia et causé avec le petit-fils de Donato Bucci, M. Jean Carrère se demande s’il n’a pas été « injuste pour l’homme ; » il se propose d’y revenir et maintient pourtant que l’œuvre est mauvaise, est démoralisante et funeste. Les autres, depuis Rousseau jusqu’à Zola, lui sont des amis autant que des maîtres : de bons amis, de mauvais maîtres ; et il vous les arrange !...

Si l’on veut voir comme il est désolé de les maudire, ses mauvais maîtres et amis, il a relu son chapitre de Baudelaire et il écrit :