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très amusant, très vif, intitulé les Mauvais maitres. Ces mauvais maîtres, ce sont Rousseau, Chateaubriand, Balzac, Stendhal, Mme Sand, Musset, Baudelaire, Flaubert, Verlaine et Zola, écrivains de toute sorte, bien divers, et qui n’ont ensemble d’autre analogie que d’être magistraux et mauvais.

Mauvais ? Cela vous chagrine : vous aimez beaucoup la plupart de ces écrivains. Vous n’avez pas tant de chagrin que M. Jean Carrère, qui les adore tous. On dirait qu’il a rigoureusement choisi, pour les châtier, ses préférés. Voyez un peu.

Rousseau ? « Dire qu’il est un des plus grands génies dont la parole ait agité le monde, dire que son œuvre est grandiose et étonnante, dire que son style est d’une nouveauté et d’une beauté incomparables ; dire qu’il impose l’admiration et la sympathie même par l’ampleur de son éloquence déployée, par la sincérité de sa passion exaltée ; dire enfin qu’il est un grand écrivain et un grand homme, eh ! qui donc s’y pourrait refuser ? » Avec tout ça, un mauvais maître !

Chateaubriand ? Le « prince de la prose française ; » au premier Rang « dans le groupe des sonores et magnifiques manieurs de mots, en compagnie de Bossuet, de Montesquieu et de Buffon, » qui valent bien Tite-Live, Salluste et Cicéron : un mauvais maître !

Balzac ? « Quel colosse !... « Son génie tient de la magie. On l’écoute : on lui appartient. Vous pénétrez dans les « palais enchantés de son œuvre ; et vous êtes pris, vous êtes « un captif sans résistance et sans volonté, roulant éperdu de labyrinthes en labyrinthes, et si subtilement enveloppé de liens que, loin de les sentir, on s’enivre de son esclavage et l’on redoute d’être délivré. » Cependant, délivrez-vous, rompez vos liens : vous êtes chez un mauvais maître !

Stendhal ? M. Jean Carrère ne le lit pas « sans être remué dans les bas-fonds mystérieux et inexplorés » de son être. Il lui trouve un génie moins haut que le génie de Balzac, mais un génie qui « se projette en profondeur. » Un mauvais maître !

Mme Sand ? « Pleinement sympathique, » une femme étonnante. « Elle dépasse de mille coudées toutes les femmes qui l’ont précédée et toutes celles qui l’ont suivie. Elle est la grande patronne, le maître incontesté, l’archétype. Plus je la contemple, et plus je la vois grandir jusqu’à l’éclat d’un symbolique génie, etc. . » Et cependant, un mauvais maître !

Musset ? » Je ne crois pas qu’un mortel venu au monde pour faire œuvre de poésie ait vu se pencher sur son berceau un plus grand nombre de fées charmantes... Toutes les grâces et toutes les séductions... »