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ou un soldat en service commandé. Aussi, comme il ne s’attendait pas à s’y divertir, rien ne l’ennuyait, ni ne lui semblait exorbitant, dès que c’était l’étiquette. Vélasquez avait bien été aposentador... Lorsqu’un jour, Edouard VIl nouvellement roi d’Angleterre l’invita, tout inopinément, à diner pour le lendemain à Windsor, où l’on ne pouvait paraître, — et l’invitation le portait expressément, — qu’en tenue de gala, culotte courte et bas de soie noirs, il ne sourcilla pas. Il ne songea pas un instant à télégraphier comme cette grande dame au même amphitryon, — il est vrai qu’il n’était encore que Prince de Galles : — « Impossible venir, mensonges suivent par la poste. » Il mit sur les dents son tailleur qui travailla toute la nuit à rendre un grand artiste présentable dans un milieu d’oisifs, se jeta dans la série de véhicules requis à cette époque pour transporter un homme dans une seule journée de la rue de Bassano à Windsor et à l’heure dite, le soir même, il figurait parmi les convives du diner royal, diplomatique et mondain. Il ne sourcilla même pas quand le Roi, voulant lui faire une gracieuseté, lui fit remarquer qu’il n’y avait que deux tableaux dans la salle à manger et qu’ils étaient tous deux de l’Ecole française : le portrait de la reine Victoria, signé Benjamin Constant, et son propre portrait à lui figuré en général d’armée, à cheval, à la tête des highlanders montrant au duc de Connaught, à son côté, comment on gagne une bataille, — le tout signé Detaille.

Là où d’autres auraient peut-être soupçonné une perfidie atroce, tout au moins une preuve d’incompétence vraiment royale. Donnat ne vit que l’intention et crut que l’intention était bonne. Car cet homme méfiant n’était pas ombrageux, mais la bienveillance même. Quand on voit son portrait peint par lui-même aux Uffizi, tenant ses pinceaux comme une hallebarde, on lui trouve l’air bien un peu soupçonneux. Quand on voit ceux qu’ils a faits plus récemment en se regardant dans la glace, et son excellent buste par M. Segoffin, au Luxembourg, on est de nouveau frappé par cette particularité physionomique. Elle décèle tout simplement l’observateur-né. Ce pourrait être un médecin, un spécialiste songeant au diagnostic, voir un juge d’instruction, enfin un biologiste patient et attentif aux phénomènes de la nature. Et il y a un peu de tout cela, en effet, dans celui qu’un décret ignoré de la Providence avait nommé de toute éternité le peintre officiel de la Troisième République.