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entendre, il faut se souvenir que le mot a toujours eu, pour le public, deux sens très différents : celui de peinture de plein air, claire, avec des lumières reflétées, des tons divisés, des formes éparpillées et comme diluées dans l’atmosphère, sans dessin très visible, — tout cela le contraire de Bonnat, — et puis le même mot a servi à désigner toute facture large, à touches apparentes, visant à rendre non pas le détail des choses, mais leur masse, leur relief de loin, ce qu’en peut saisir un premier coup d’œil, une impression d’ensemble en un mot. C’est ainsi que Courbet souvent très noir et massif, que Manet dans certaines de ses premières œuvres où les ombres sont encore épaisses et « bouchées » furent cependant qualifies « d’impressionnistes. » C’est dans ce sens que Bonnat l’apparaissait à quelques esprits timorés. Et, en effet, si on l’oppose, comme alors on l’opposait, à Winterhalter, à Hébert, à Dubufe, à Cabanel, à Chaplin, à Baudry, à Bouguereau, à ce faire lisse et poncé qui rapproche la peinture de la « véritable porcelaine, » selon le précepte de Winckelmann, il paraît un maçon brutal, maniant non un blaireau, mais une truelle et ne se préoccupant que de la solidité de sa bâtisse. « Ce farouche Espagnol de France, » disait About. « Une robe de plâtre, » disait un critique de la robe de satin blanc portée par Mme Pasca, la brutalité de la touche étant sensiblement plus forte, dans une peinture fraîche qu’après quarante-sept ans écoulés.

Toutefois, le succès de ce portrait de femme, au Salon de 1875, comme le succès du Christ en 1874, fut très vif. C’est seulement une certaine critique et un petit nombre d’amateurs habitués à d’autres formules qui furent scandalisés. Le grand public, la foule qui juge en gros, et qui aime être secouée, je ne dis pas houspillée, réagit par une admiration unanime. Pas plus que Delacroix, pas plus que Corot, pas plus que Millet, pas plus que Rousseau, Bonnat ne fit rire, ni hurler le public, parce que dans son audace, il n’y avait pas que de l’audace : il y avait la force qui la justifie. Bien mieux : c’est le public qui décida Bonnat à faire dorénavant du portrait. C’est la foule anonyme, qui, par ses ovations devant ses portraits, sa froideur devant ses scènes de grand style, lui montra la voie où il devait s’engager et, remplaçant le Jules II du poète, lui dit :


... lui frappant sur l’épaule :
« Marche ! Ta gloire est par ici ! »