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Or depuis vingt ans, ou davantage, la vie politique italienne tendait à l’opportunisme. C’était le triomphe de la « combinaison. » La combinaison est assez étrangère à notre mentalité française ; c’est un art, l’art de trouver entre deux intérêts opposés le point par lequel ils pourront s’unir ; c’est une transaction, qui consiste à obtenir que chacune des deux parties en présence cède un peu de ses prérogatives, en vue de l’intérêt général ; c’est, un peu, l’oubli des principes abstraits, qui sont gênants dans leur intransigeance, au profit de la pratique. Elle suppose quelque scepticisme, un sens très développé de l’intérêt immédiat, l’habitude de considérer l’action comme indépendante de la théorie, elle est infiniment utile dans la vie courante, qu’elle facilite sans cesse ; on ne peut pas dire qu’elle soit toujours parfaitement morale. Elle était devenue un moyen de gouvernement ; on avait érigé en système le fléchissement des principes. Mais devant les décisions essentielles à prendre, pour le juste ou pour l’injuste, les principes se sont réveillés dans leur force. L’Italie s’est refusée à obtenir beaucoup, sans risquer grand chose par le jeu d’une habile combinazione. Elle a pris parti suivant sa conscience, sans transaction, au moment même où son intérêt, si elle l’avait écouté seul, lui aurait conseillé peut-être de s’abstenir. De l’esprit qui a commandé cette résolution suprême, quelque chose est resté. Les individus, les partis, la nation tout entière, ont réagi contre l’enlizement des années précédant la guerre. On n’a plus voulu des nuances subtiles qui permettraient de concilier les inconciliables ; le scepticisme a fait place à de vigoureuses professions de foi ; on est même passé de la « combinaison » à la violence. La tranquillité du pays n’y a pas gagné, pour le moment ; peut-on dire que sa moralité générale y ait perdu ?

Reste à savoir si une transformation analogue s’est accomplie dans les rapports de l’Italie avec l’étranger, particulièrement avec la France. Pour un Français, ce n’est pas le moins délicat.


PAUL HAZARD.