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LA CÉRÉMONIE DU SACRE

2 décembre (15 frimaire an XIII.) — A peine le jour se dessinait que nous étions en bataille sur le Pont Neuf, en attendant qu’on eût désigné l’emplacement que nous devions occuper. La compagnie borda la haie dans la rue Notre-Dame. Obligée de rester en place, sur un sol glacé, par un froid vif et un ciel gris, cela nous promettait une journée pénible et de privations. Cependant, quand les petits et grands Corps constitués arrivèrent, quand le Corps législatif, le Tribunat, le Sénat, le Conseil d’Etat, la Cour de cassation, la Cour des comptes, etc., commencèrent à défiler, on eut du plaisir à se voir bien placés, à n’avoir devant soi rien qui put vous priver du charmant tableau qui se déroulait. Et quand la riche voiture du Pape arriva, attelée de huit chevaux blancs magnifiques, précédée de son chapelain monté sur une mule ; quand l’état-major de Paris, ayant à sa tête le prince Murat, précédé et suivi d’une immense colonne de cavalerie de toutes les armes, quand enfin le magnifique cortège impérial se montra dans toute sa splendeur, alors on oublia le froid, la fatigue, pour admirer ces resplendissantes grandeurs.

Le cortège étant entré dans l’église, il fut permis de se promener pour se réchauffer. Me trouvant près d’une porte de l’immense basilique où s’accomplissait une si étonnante cérémonie, j’entrai à la suite du prince Eugène. Une fois dans l’intérieur, je n’aurais été guère plus avancé, si un vélite de mes amis, dont la compagnie était de service dans l’église, ne m’eût facilité les moyens de pénétrer dans une tribune haute. Je pris une assez bonne place sans beaucoup de peine, parce qu’on pensa que j’étais envoyé pour y faire faction. De là je vis au moins les deux tiers de la cérémonie, tout ce que l’imagination la plus féconde peut imaginer de beau, de grandiose, de merveilleux. Il faut l’avoir vu pour s’en faire une idée. Aussi le souvenir en restera-t-il gravé dans ma mémoire toute ma vie. Avant la fin de la messe, je me retirai pour reprendre ma place.

A la nuit nous rentrâmes au quartier, et après avoir mangé la portion du soir, je fus voir la brillante illumination des Tuileries, et des monuments des environs. La journée fut bien remplie, mais aussi elle offrit à l’imagination de bien puissants souvenirs.