Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assez vaste pour nous loger tous, car le lieutenant ne voulait pas que nous nous séparions, nous fûmes éconduits dans plusieurs lieux. Enfin, nous trouvâmes un asile dans l’hôtel de Lyon, rue Batave, près les Tuileries.

J’étais donc à Paris, dont je rêvais depuis tant d’années ! Il me serait impossible de rendre compte du plaisir que j’éprouvai quand j’entrai dans la capitale de la France, dans cette grande et superbe ville, l’asile des beaux-arts, de la politesse et du bon goût. Tout ce que je vis dans ces premiers moments me frappa d’admiration et d’étonnement. Pendant les quelques jours que j’y restai, je fus assez embarrassé pour définir les sentiments que j’éprouvais, et me rendre compte des impressions que me causaient la vue de tant de monuments, de tant de chefs-d’œuvre, et cet immense mouvement qui m’entraînait. J’étais souvent dans une espèce de stupeur qui ressemblait à de l’hébétement.

Cet état de somnambulisme ne cessa que lorsque je pus définir, comparer, et que mes sens se furent accoutumés à apprécier tant de merveilles. Que de sensations agréables je ressentis ! Il faut sortir comme moi d’une petite et laide ville, quitter pour la première fois le toit paternel, n’avoir encore rien vu de véritablement beau, pour comprendre et concevoir toute ma joie, tout mon bonheur.

19 messidor. — Notre lieutenant, très empressé de se débarrasser de nous, et de terminer sa pénible mission, nous conduisit de très grand matin à l’Ecole militaire pour nous faire incorporer dans la garde impériale. Après avoir pris nos signalements, et nous avoir toisés, nous fûmes répartis dans les deux corps de vélites d’après la taille de chacun : 13 furent admis aux grenadiers, et 7, dont je faisais partie, aux chasseurs. Nous nous séparâmes alors avec de vifs regrets, d’autant plus pénibles qu’il s’était établi pendant le voyage une intimité que rien n’avait altérée. Quant au lieutenant, il ne put s’empêcher de manifester une satisfaction, qui ne faisait pas notre éloge.

Nous fûmes autorisés à rentrer dans Paris, pour y vivre comme nous l’entendions, sans être astreints aux appels, jusqu’au lendemain dans l’après-midi.

A notre retour de l’Ecole militaire, nous passâmes par les Tuileries pour tâcher de voir l’Empereur qui devait passer la revue de la Garde dans la cour du château et sur la place du