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voyez donc que c’est là de la consonance, que c’est là du divin, du parfait, et peut-être qu’après tout, ce saisissement profond, que ces expressions morales amènent en nous, ne vient que de ce contraste et de cette harmonie entre deux natures, dont l’une est la nôtre, pécheurs rachetés, faillis, relevés, malheureux, consolés. Oh ! alors je comprends ces larmes et ce trouble plein d’amour où me jette l’audition de la symphonie ; il n’est pas étonnant que ces choses-là nous touchent, qu’elles aillent remuer dans toutes ses profondeurs notre pauvre âme humaine. On se souvient du monde perdu, on espère le monde promis. Oh ! est-ce de l’espoir seulement, Beethoven ? Non, ce monde, on le voit, on le sent, on y entre. Que celui qui a écrit cette page soit béni ! »

Loué soit aussi l’auteur de cette page littéraire, pour avoir, — à vingt ans, — donné de cette page musicale une si haute interprétation. On sait l’effet que produisit un jour le célèbre passage de la symphonie en ut mineur. Un soldat de Napoléon qui se trouvait dans l’auditoire, se serait, dit-on, levé en criant : « l’Empereur ! » Mais le pieux adolescent a cru reconnaître ici une approche plus auguste, plus émouvante encore, et le cri dont il l’a saluée en est encore plus beau.


« Je veux, écrivait-il à la même époque et dans le même essai, je veux, avec les saintes chaînes de la pensée, rattacher au trône du Dieu un et éternel mon art bien-aimé. » Telle était en effet la volonté qui lui semblait alors dominer ou résumer tout le dessein de sa vie et de sa vocation. Mais de l’une et de l’autre voix qui l’avaient d’abord appelé ensemble, celle de Dieu se faisait de jour en jour la plus forte. Elle le pressait tantôt par l’éloquence de Lacordaire, tantôt, avec moins d’éclat, mais peut-être avec plus d’efficace, par la conversation et les avis d’une humble artiste, qui donnait à Mlle Gay, sa sœur, des leçons de piano. Ainsi tout était bon à la musique pour élever au-dessus d’elle-même le disciple qui l’aimait à ce point, qu’il n’en devait jamais perdre l’amour. Un jour enfin, comme le musicien passionné se promenait dans les bois de Ville-d’Avray, il crut entendre au dedans de lui ces mots : « Tu seras prêtre. » Mais, les entendant pour la première fois, il se contenta de