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LE LIVRE DE RAISON

III [1]


V. — MACHINE À BATTRE


Août 1922.

Les blés sont abattus. La face de la terre est changée. Le rayonnement, l’étincellement des blés murs s’est éteint. Entre les étendues vertes des prés et des landes, les pièces de maïs aux sillons empanachés, au pied des murailles ombreuses des bois, ils oscillaient en jetant de longs éclairs d’or, enflaient des vagues lourdes qui ne croulaient jamais, comme contenues par des rives aériennes, et roulaient un bruit léger de marée, un bruit métallique où se révélaient la sécheresse des tiges et la densité de l’épi. Ou bien, ils flamboyaient, immobiles, comme enchaînés sous l’astre à pic, et pétillaient dans l’air blanc qui dansait, parcourus d’on ne sait quel soupir brûlant, venu du fond de leur sein incendié. On allait les écouter bruire, on allait contempler ce balancement ou cette stagnation féconde, on entrait jusqu’aux bras dans leurs flots épais pour en mesurer la crue et pour en supputer le rendement, et les yeux riaient d’aise devant tout ce pain étalé sur la terre nourricière... Maintenant le sol qui les portait est vide, morne et ras, pareil à une arène immense désertée, où la foule a tari, où la poussière commence à s’élever, et l’horizon, en perdant cette lumière vive, semble avoir reculé dans l’espace nu...

Cet effet de lointain, cette année, s’est accompagné d’un silence inaccoutumé parmi les heures estivales : pour la première fois, je n’ai point entendu le sifflement des faulx dans la masse

  1. Voyez la Revue des 15 mars et 15 juin.