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C’est ainsi que parlant à cet ami inattendu et le caressant, j’atteignis Novo-Dmitrievsk. Une fois parvenus à l’entrée du village, qu’arriva-t-il à mon mystérieux compagnon ? J’eus beau l’appeler, il s’était arrêté à bonne distance de moi, les oreilles dressées, remuant la queue, refusant de m’approcher. Tous mes appels furent vains : il s’obstinait à ne pas bouger. Alors je lui dis adieu et m’engageai dans le village. Lui se perdit dans la nuit, d’où il était venu vers moi. Qui sait si cet ami secourable ne m’avait pas été envoyé par la Providence ?


Tout en rêvant à lui, je suivis la rue déserte, jusqu’à ce que j’eusse rencontré un officier qui m’indiqua la maison du général Alexéïeff. Là, on me fit boire un peu de ce nectar qu’est le café et on m’indiqua l’endroit où cantonnait notre détachement. Il ne fut pas facile à découvrir. J’errai plus d’une heure dans la boue, frappant à toutes les fenêtres, avant de trouver mon logement. Tout le long de la route on entendait les voix des Cosaques qui cherchaient comme moi. L’air résonnait d’appels.

Me voilà enfin arrivé. Une grande pièce éclairée par une petite lampe fumeuse. Je me déshabille, j’étale vêtements et bottes mouillées près du feu, et, mon fusil appuyé au mur, ma petite valise sous ma tête, je me couche en me couvrant de mon vieux et chaud burberry.

... Cependant la tache blanche danse devant mes yeux ; elle se fait toujours plus proche ; c’est mon mystérieux ami nocturne : sa gueule est tout près de moi ; je vois ses bons yeux me sourire, et, là-bas, bien loin, je l’entends qui aboie...


BORIS SOUVORINE.