Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentait renaître, plus vives que jamais, toutes ses craintes. Cependant elle sut se dominer pour remplir les devoirs de sa charge.

Elle attendait l’ambassadrice au bas du grand escalier.

Avec une dédaigneuse courtoisie, elle lui tendit le bout de ses doigts, et, la tenant par la main, elle la conduisit, à travers un dédale de couloirs et de passages, jusqu’aux appartements royaux. Le contact de cette main pâle et glacée, le regard, jailli en éclair, de dessous la coiffe funèbre, tout cela fit une telle impression sur Mme de Villars qu’elle n’osa pas articuler une seule parole tout le temps que dura le trajet.

Elle fut plus intimidée encore, lorsque la porte de la chambre s’ouvrit devant elle. Dans sa pensée, c’était une audience toute privée que la Reine lui accordait. Elle escomptait le tête-à-tête, l’intimité la plus complète avec la jeune souveraine. Et voici qu’elle se trouvait devant le Roi, assis dans un grand fauteuil doré, l’épée au côté et la Toison au cou. A droite et à gauche de Sa Majesté Catholique, les deux Reines assises sur des carreaux, — et toute la chambre pleine de caméristes et de dames d’honneur !… Cet éclat donné à une simple visite fit soupçonner à l’ambassadrice que la Camarera avait voulu jouer un tour de sa façon.

Interdite, — et toujours conduite, du bout des doigts, par l’effrayante vieille, — la marquise de Villars, fort empêtrée dans sa jupe à l’espagnole, s’avança vers la famille royale. Elle tremblait de peur. La Camarera la fit approcher du Roi jusqu’à lui toucher les genoux. Elle voulait sans doute l’obliger à s’agenouiller devant le malgracieux monarque et à lui baiser la main. Mais cette Française se refusa à donner à un souverain étranger des marques de respect qu’elle ne donnait point au Roi de France. Elle se borna à lui faire une grande révérence. Le Roi, assez grossier de son naturel et d’ailleurs fort mal élevé, ne lui rendit point son salut. Et même, pendant toute la visite de l’ambassadrice, il ne bougea ni ne desserra les dents. Du moment qu’il ne disait rien, les Reines ne parlaient pas non plus. Comme d’habitude, c’était le nain Luisito qui, à lui seul, faisait à peu près tous les frais de la conversation.

Cependant, la jeune Reine, à la dérobée, considérait l’ambassadrice de France, engoncée dans sa jupe espagnole. Toute menue, toute petite, n’ayant pour ainsi dire point de chair sur