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dans le sillage même des Bérulle et des Condren ; pendant que devant l’autel ses genoux fléchissent, sa pensée s’envole en spéculations métaphysiques ; et tant bien que mal, avec une certaine préciosité de langage, elle rend hommage au Christ eucharistique, dans un petit écrit qui s’appelle le Chapelet secret du Saint-Sacrement. Quelque discuté qu’ait été ce petit livre, vous y chercheriez en vain ce qui plus tard s’appellera la doctrine janséniste ; et les générations ultérieures de Port-Royal se reconnaîtront d’ailleurs si peu dans la mystique de Mère Agnès, qu’elles s’abstiendront toujours de publier ses lettres, exhumées au XIXe siècle par Prosper Faugère.

Au demeurant, dans ce Port-Royal contemporain de Richelieu, la pratique des sacrements, sauf durant les quinze ou dix-huit mois où Saint-Cyran dirige effectivement, ne s’asservit pas à cet esprit de rigorisme, et presque d’abstention, qui distinguera plus tard la dévotion janséniste ; on y communie, en règle générale, deux fois par semaine ; Singlin ne tolère pas qu’un confesseur éloigne Mère Agnès de la communion fréquente, et de multiples passages de ses lettres, cités par M. Bremond, attestent qu’elle gardera toujours une familiarité confiante avec le Christ eucharistique. Il semble que ce Port-Royal oratorien, où se prolonge encore le souvenir de saint François de Sales, ne craigne Dieu qu’autant qu’il le faut craindre pour l’aimer correctement ; on prête à sa majesté, qu’on veut très imposante, non moins de bonté que de rigueur ; on est devenu, sous les auspices de Zamet, un centre rayonnant de dévotion, où l’on est plus préoccupé de conquérir des âmes que d’arpenter, en des méditations effrayées, l’incommensurable distance entre l’homme et l’inaccessible Dieu, entre la terre et le ciel. Les récentes études du P. Ubald sur l’action des Capucins, et du P. Plus sur celle de saint François de Sales [1], et la thèse très fouillée, très pénétrante, de M. Prunel sur Zamet [2], permettent d’étudier à loisir ces prometteuses aurores.


VI

Laissez passer quelques années ; laissez Port-Royal se transformer en place forte où certains gestes de feu Saint-Cyran

  1. P. Ubald, les Frères Mineurs à Port-Royal des Champs (Paris, Picard, 1911). — P. Plus, Études, 20 février 1910 et 20 novembre 1912.
  2. Paris, Picard, 1912.