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d’encore plus paradoxal, dans la fortune religieuse de notre Port-Royal. Le prologue, ici, remonte au temps d’Henri IV, et cela commence assez mal : dans une abbaye cistercienne en décadence, une fillette, Angélique Arnauld, est bombardée abbesse, grâce à l’adresse de sa famille, qui a su tromper Rome sur son âge. Abbesse fort ignorante de son catéchisme : tant bien que mal, elle se prépare à la première communion, dans un livre prêté par un savetier voisin. Abbesse fort rebelle, aussi, à ce mariage forcé avec Dieu : la religion lui paraît un « joug insupportable » dont elle s’estime fort malheureuse ; et son père craint tellement de la voir s’en évader, qu’un jour qu’elle est malade, il surprend sa signature, par un « tour d’adresse, » pour une formule où sont ratifiés ses vœux.

Mais lorsqu’elle a seize ans, les grands souffles de renouveau religieux qui travaillent la France d’Henri IV passent brusquement sur cette petite âme, et l’ébranlent : elle veut ressusciter la clôture ; dans la journée du Guichet, sa volonté se tend, s’acharne contre ses affections comme on s’acharne contre un abus, et, fiévreusement, déchire son cœur. Des Capucins ont été les ouvriers de cette conversion : on les trouve, à cette époque, labourant partout le champ de Dieu. Angélique, désormais, n’a plus de regret d’être nonne ; mais au regret un remords a succédé, le remords des coupables artifices par lesquels autrefois on l’a faite abbesse. Elle voudrait se démettre, elle voudrait changer d’ordre ; elle est inquiète, elle est troublée. Elle songe qu’il y avait trois abus dans son établissement en qualité d’abbesse de Port-Royal : « le premier, l’ambition de M. Marion, mon grand-père, d’avoir deux filles abbesses ; le second, de m’avoir fait faire des vœux à neuf ans et bénir à onze, contre les lois de l’Église ; le troisième, d’avoir fait un mensonge au Pape pour avoir des bulles, car on exposa que j’avais dix-sept ans, ce qui était très faux. » Bref, trois péchés originels, qui ternissent sa robe d’abbesse : elle les ressasse, les pleure, voudrait les expier ; elle s’opprime, elle s’oppresse, sous toute sorte d’austérités.

Saint François de Sales survient, qui, la jugeant « une merveilleuse fille, » tente de la pacifier, et de l’aider à mieux respirer. De son côté, elle trouve en lui « ce qu’elle n’avait point encore trouvé en personne. » « Dieu, dira-t-elle plus tard, était vraiment et visiblement dans ce grand évêque. » Au nom de Dieu, il la met en garde contre ce qu’aujourd’hui nous appellerions