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Si pourtant le Saint-Siège veut qu’on y change quelque chose, je suis un fils obéissant de cette Eglise dans laquelle j’ai toujours vécu ; je suis, jusqu’à ce lit de mort, obéissant. »

Légendes que tout cela ! disent aujourd’hui certains critiques [1] : ce testament spirituel de l’évêque d’Ypres leur parait manquer d’authenticité ; et de la dernière page de la vie de Jansénius ils effacent sans merci cette édifiante histoire d’agonie. Mais ce qu’ils ne veulent ni ne pourraient effacer, c’est une certaine dédicace préparée par Jansénius pour le pape Urbain VIII, et dans laquelle on lit : « Quelle chaire consulterons-nous, sinon la chaire où la perfidie ne trouve pas d’accès ? Quel juge invoquerons-nous, si ce n’est le Vicaire de la voie, de la vérité et de la vie, sous la conduite et l’enseignement duquel Dieu ne permet à personne d’errer, ni d’être trompé, ni de succomber ? » Et si d’aventure on objectait qu’une dédicace n’est qu’une feuille volante qui ne fait pas corps avec un livre, du moins devrait-on confesser que le même esprit se retrouve, au cœur même de l’Augustinus, dans le traité sur la grâce du Christ Sauveur, à la fin du livre quatrième : « De tout cœur et en toute sincérité de pensée, écrit en cet endroit Jansénius, je soumets au jugement et à la censure de l’Eglise, et de son pasteur universel, le Pontife romain, tout ce que j’ai écrit jusqu’ici ou tout ce qu’à l’avenir je dois écrire, sur ce sujet ou sur tout autre. » Peut-on souhaiter une plus correcte formule de plus absolue soumission ?

Au demeurant, en cette même année 1638, les calvinistes de Hollande, en deux volumes dont l’un paraissait à Amsterdam et l’autre à Leyde, s’acharnaient contre Jansénius ; et pourquoi donc ne laissaient-ils en repos ni ses derniers jours de vie ni ses premiers jours d’outre-tombe ? Parce qu’il leur importait de contester la juridiction immédiate et universelle du Pontife romain et son infaillibilité doctrinale, et que l’évêque d’Ypres, dans certaines thèses théologiques, avait expressément professé et cette juridiction et cette infaillibilité. Quelques lances qu’il eût rompues contre les privilèges des religieux, et spécialement des Jésuites, la réputation que lui faisaient les calvinistes était

  1. Vandenpeereboom, Cornélius Jansénius, évêque d’Ypres, p. 30-45 (Bruges, 1882). — Cauchie, Annuaire de la Société pour le progrès des études philologiques et historiques, 1910-1911, p. 137-143 (Bruxelles, 1911). — De Meyer, op. cit., p. 16. — Comparez, eu faveur de l’authenticité : Callewaert et Nols, Jansénius, ses derniers moments, sa soumission au Saint-Siège, p. 161 (Louvain, 1893).