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par les menaces de l’hérésie à certaines précisions dogmatiques ou à certaines modifications disciplinaires. Que depuis l’antiquité chrétienne le dogme se soit développé comme le fruit nait du germe, cela échappe à Saint-Cyran [1] ; ce qui lui échappe, aussi, c’est que l’Église enseignante puisse légitimement adapter à l’évolution des siècles les usages et les règles de la pratique religieuse. Le rôle doctrinal et gouvernemental de l’Eglise dans l’épanouissement du dépôt chrétien et dans la direction de la conduite chrétienne demeure, pour Saint-Cyran, quelque chose d’incompris. Cet érudit est un archaïsant ; et parce que l’Eglise qu’il a sous les yeux ne ressemble pas à celle qu’il croit entrevoir dans les premiers siècles, il fait le geste de se cantonner dans une « adoration intérieure de Dieu, » en proclamant qu’il n’y a plus d’Église. A son tour, l’esprit janséniste sera toujours un esprit d’archaïsme, jusque chez ces hommes de la Constituante qui prétendront restaurer l’Église primitive en élaborant la Constitution civile du clergé.

M. Bremond écrit en un endroit : « Les velléités rigoristes de Saint-Cyran, solidifiées, si j’ose dire, systématisées, exagérées et faussées par l’auteur de la Fréquente communion, sont devenues la charte du jansénisme. » Il ne se refuserait pas, je pense, à ajouter que les attitudes archaïsantes de Saint-Cyran, et son habitude de justifier par sa dévotion à l’égard du passé sa désinvolture à l’endroit de la tradition vivante de l’Eglise, furent encore exagérées, aggravées par le grand Arnauld, et devinrent une façon de méthode pour la dialectique du jansénisme.

N’oublions pas, d’ailleurs, en cherchant la paternité du jansénisme, que Jansénius a bien quelques droits à faire valoir : le nom même du système nous défend de les méconnaître. Ce serait perdre de vue cette journée de l’an 1620 où Jansénius, interrogeant saint Augustin sur la grâce et sur la prédestination, y trouva des arguments pour les opinions de Baius, taxées d’hérésie par l’Église, mais demeurées chères à beaucoup

  1. De cette idée du développement du dogme. Saint-Cyran aurait pu trouver quelque esquisse dans un chapitre de la Somme où saint Thomas explique pourquoi telle formule qui, chez certains Pères, n’était pas réputée hérétique, a pu devenir dans la suite une note d’hérésie (Somme, 1re partie, question 32, article 4) ; et les surprises qu’éprouvait Port-Royal en voyant une contradiction entre une décision de l’Église et quelque phrase isolée de saint Augustin auraient été calmées par cette lecture. Voir Neyron, Recherches de science religieuse, 1918, p. 398-401.