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à l’ancienne doctrine de l’Église, et l’amour de la vérité. » En présence d’un pareil texte, tout en consentant à rendre au grand Arnauld tout ce qui revient au grand Arnauld, nous inclinerions à laisser un peu plus à Saint-Cyran que ne lui laisse M. Bremond. Nous ne verrons pas en lui un hérésiarque systématique, constructeur d’un bloc doctrinal rigide en ses arêtes ; et nous accorderons même à M. Bremond qu’« il n’a que des vues disjointes et qui souvent se contredisent, qu’il n’a que des lueurs intermittentes et qui ne servent qu’à rendre plus noire l’étrange et troublante nuit sous laquelle il se cherche lui-même sans jamais parvenir à se trouver. » Mais le souvenir de Saint-Cyran devait être une leçon d’attitude pour les générations successives de Port-Royal, et les leçons d’attitude sont bien souvent celles qui se retiennent le mieux.

Quand il s’évertue, — et nous avons là-dessus, dès 1638, le témoignage de saint Vincent de Paul, — à « vouloir ruiner les Jésuites, » il prépare Port-Royal à se persuader de l’urgence de cette besogne, et à s’en éprendre, avec un acharnement auquel contribuera d’ailleurs l’hérédité même des Arnauld. Quand de sa prison de Vincennes, pour porter Mlle d’Elbeuf à entrer à Port-Royal, il compare la « petite persécution » dont le monastère est l’objet, à celles auxquelles furent en butte, autrefois, les sainte Paule et les saint Jérôme, nous surprenons en Saint-Cyran un éducateur des imaginations port-royalistes ; et certaine lettre de Mère Angélique, où seront évoqués avec fierté ces mêmes souvenirs palestiniens, témoignera qu’elle n’avait pas oublié ce fascinant parallèle. Quand, à propos de la bulle In eminenti, relative au livre de Jansénius, Saint-Cyran proclame que les juges romains « en font trop, » qu’il « faudra leur montrer leur devoir, » le programme de toutes les futures résistances est d’avance arboré, sans d’ailleurs être défini, — et cela, nous le verrons plus loin, contrairement à l’esprit de soumission qui animait feu Jansénius.

Bientôt on verra le Port-Royal janséniste éplucher le lointain passé de l’Église ou bien le texte de saint Augustin pour y trouver des armes contre les décisions du magistère ecclésias- tique ou contre l’état nouveau de la discipline religieuse : cette méthode d’opposition s’inspirera de l’exemple qu’avait donné Saint-Cyran. Son cerveau semble inaccessible à la notion d’une Église vivante, amenée par les interrogations de ses fidèles ou