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message d’adieu de Washington et la doctrine de Monroe doivent recevoir une interprétation nouvelle. La République des Etats-Unis est aujourd’hui une nation de plus de cent millions d’habitants, forte, riche, sûre d’elle-même, et qui s’est affirmée de bien des manières une des plus grandes puissances du monde. Un Washington ne se sentirait certes point tenu de prendre à son égard les mêmes ménagements. Monroe ne subordonnerait pas toute la politique étrangère à la préoccupation de garder les continents de l’hémisphère occidental contre toute velléité de colonisation par une puissance européenne. Il ne s’agit plus, comme en 1823, de prévenir les empiétements de la Russie sur la côte du Pacifique ou les desseins de la France au Mexique ; le Système de la Sainte-Alliance ne menace plus du retour offensif du despotisme aucune partie du Nouveau Monde. La doctrine de Monroe n’est plus une doctrine d’isolement, elles Etats-Unis, au contraire, s’en réclament pour rayonner au dehors, puisqu’elle est devenue le prétexte d’annexions faites par eux en vue d’éviter que les régions annexées ne passent entre les mains d’une puissance européenne. Au nom de cette doctrine, la grande République du Nord ne répugne pas à étendre sa tutelle sur les Etats de l’Amérique latine qu’elle parviendra peut-être à fédérer, et elle a jeté déjà les fondements d’un empire colonial. Son rôle n’est plus de se replier sur elle-même, mais de rayonner, et sa destinée a cessé d’exiger qu’elle borne ses efforts à se garder contre les influences extérieures : elle lui commande de porter sa propre influence au dehors pour l’y faire triompher.

Les causes qui ont déterminé les Etats-Unis à intervenir dans la guerre subsistent encore et ne les appellent pas moins impérieusement à intervenir dans la paix. Ce n’est point un parti pris d’optimisme d’affirmer qu’ils finiront par intervenir dans la paix, comme ils sont intervenus dans la guerre, choisissant leur heure, et quand ils jugeront le moment venu. Le danger est qu’ils ne le laissent passer. Ils ne doivent pas, ils ne peuvent pas se dérober à l’appel du Vieux Monde, parce qu’un grand peuple en pleine force, en pleine prospérité, en pleine maturité de vigueur et de génie, ne trahit jamais ni son idéal ni sa destinée.


FIRMIN ROZ.