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— Votre Majesté sait bien !…

C’était une allusion à Cardénio. La Reine, qui n’avait pas de secrets pour sa nourrice, s’épouvanta à la pensée que celle-ci, sans le vouloir peut-être, pourrait la trahir. Elle lui lança un regard courroucé :

— Tais-toi ! Jamais un mot sur le sujet !

Et, après un silence, sans quitter des yeux le gentilhomme masqué :

— Tu sais bien qu’ils l’ont tué !…

— On en sait jamais, madame ! dit la nourrice, astucieusement. Peut-être qu’il reviendra !…

À ces mots, la Reine quitta précipitamment le balcon et, s’étant étendue par terre, sur des coussins, elle commanda qu’on la laissât seule.

Mais, le lendemain, tandis que la Quentin la coiffait, elle lui déclara brusquement :

— J’étouffe dans cette cour, dans ce pays, au milieu de tous ces Espagnols ! Je ne puis plus vivre comme cela ! Il faut que je voie des Français !

La Quentin, qui semblait ne guetter que cette occasion, s’empressa de répondre :

— Votre Majesté sait bien que ce n’est pas facile ! Mme la duchesse s’oppose à ce que personne voie Votre Majesté avant son entrée solennelle !… Et puis, il n’y a pas beaucoup de Françaises de qualité à voir dans Madrid… à part Mme la connétable Colonne, qui a quitté son mari et ses enfants pour courir les aventures et qui est, à présent enfermée au couvent de Santo Domingo…

À ce nom romanesque, la Reine tressaillit :

— C’est, n’est-ce pas, Mlle de Mancini ?… cette nièce de M. le Cardinal, qui, autrefois, dit-on, aime le Roi mon oncle ?

— C’est elle-même ! dit la Quentin. Mais il n’y faut point songer : ce serait un trop gros scandale !… Toutefois, après Mme la connétable Colonne, comme Française de qualité, il ne reste plus que Mme la marquise de Villars, l’ambassadrice de France.

— Son mari me déplaît ! fit sèchement la Reine.

La nourrice se tut un instant. Ce n’était point sans intention qu’elle avait mis en avant le nom de l’ambassadrice. Depuis