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péril et du sacrifice, le problème devait reparaître dans toute son acuité. Il faut bien reconnaître que nulle autre nation n’en présente l’équivalent. La moitié de la population des Etats du Sud est formée d’éléments nègres. Certains Etats, où ils sont en majorité, ont rédigé depuis 1890 des constitutions qui, en pratique, retirent au nègre, du moins provisoirement, l’égalité politique que lui confèrent les 14e et 15e amendements (adoptés en 1868 et en 1870) de la Constitution fédérale. La Cour suprême, gardienne vigilante de cette Constitution, a refusé de se prononcer sur ces mesures et adopté, à cet égard, le principe de « laisser le Sud en paix. » Et c’est tout ce qu’il demande. Mais le danger n’est ainsi qu’endormi : à toute occasion il se réveille. Il s’est réveillé avec une terrible violence dans la période troublée qui a suivi la guerre.

Commencés à Washington au début de juillet, les race riots reprenaient à Chicago le 28. Les nègres, toujours nombreux dans cette énorme ville, la deuxième des Etats-Unis, la métropole du Middle West, avaient largement doublé, par suite de la montée du Sud, au cours des deux dernières années. Ils étaient alors plus de cent mille, demandant une égalité sociale que jamais les blancs ne voudraient voir s’ajouter à l’égalité civile qu’ils estiment déjà assez funeste. Une véritable révolte fait rage durant plusieurs jours. Des milliers de noirs ont pris les armes, l’un d’eux a été brûlé par la foule. La ville est en proie à l’anarchie. Le 29 septembre, des émeutes analogues éclatent à Omaha. Depuis, les horreurs du « lynchage » ont repris un peu partout, et un projet de loi a été déposé, qui en remettrait la répression aux autorités fédérales. Enfin, ce qui est plus grave peut-être, le fameux Ku Klux Klan, société secrète fondée dans le Tennessee en 1865, après la guerre civile, pour assurer la suprématie des blancs et dissoute quelques années plus tard par ordre du Congrès à cause de ses intolérables excès, s’est réorganisé en 1916 dans le Sud, avec son centre à Atlanta (Géorgie). Ce n’est point là un fait qui présage l’amélioration des rapports entre blancs et noirs aux Etats-Unis.

La guerre, enfin, avait révélé un autre aspect du problème des races : le double péril d’une immigration devenue soudain particulièrement menaçante pour le travail, soucieux d’être protégé pendant la période des salaires élevés, et pour l’ordre social contre lequel se dresse le bolchévisme.