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entre le problème politique et le problème social. C’était donc travailler déjà à le résoudre que de dégager l’industrie du contrôle de l’Etat et lui rendre son activité normale, c’est-à-dire sa liberté, mais elle se trouvait alors devant la grande difficulté d’ordre à la fois économique et social : la question des salaires, ou, plus exactement, de la hausse anormale des salaires, qui ne sauraient être maintenus indéfiniment au niveau où les avaient montés des conditions exceptionnelles.

La guerre avait imposé une trêve au long conflit des deux puissances économiques rivales : le capital et le travail. Sous la direction de Samuel Gompers, la Fédération américaine du Travail, qui comptait alors quatre millions d’adhérents, montra son patriotisme et son parfait « américanisme » en s’abstenant de toute grève qui eût entravé la production de guerre. Plus de mille cas de différends, intéressant 800 000 employés, furent soumis à la Commission de guerre du Travail et, pour la plupart, promptement réglés d’une manière pacifique. Mais, après l’armistice, la lutte industrielle se ranima, plus violente que jamais et surtout plus étendue. Il y eut une véritable épidémie de grèves dans toutes les professions, depuis les dockers jusqu’aux services postaux aériens, et de la grève des charbons à celle des coiffeurs. On vit même des grèves d’écoliers, parmi lesquelles celle des 2 000 étudiants de Syracuse qui, filles et garçons, firent appel à cet étrange moyen de célébrer une victoire de foot-ball sur Pittsburg. N’attachons pas à des incidents de ce genre plus d’importance qu’ils n’en méritent ni plus de signification qu’ils n’en eurent réellement : mais ne convient-il pas de les rappeler, pour mieux faire comprendre à quel point l’esprit de grève était « dans l’air ? »

L’industrie du pays sembla complètement démoralisée par cette agitation que provoquait surtout, en même temps que le retour des soldats à la vie civile, la rapide élévation des prix de guerre. Le travail accusait la cupidité des profiteurs, tandis que le capital attribuait cette hausse aux exigences excessives des salariés. Le président Wilson mesurait toute l’étendue du péril. « Il ne peut y avoir de conditions réglées en vue d’un accroissement de la production et d’une réduction du coût de la vie, disait-il dans son message au Congrès de 1919, si le travail et le capital sont ennemis au lieu d’être associés... La seule manière de garder les hommes de l’agitation contre les griefs