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plan d’une Société des Nations fût ajournée après la signature du traité de paix avec l’Allemagne. Le président Wilson crut avoir trouvé le moyen de leur forcer la main en incorporant le pacte au traité. « Quand le traité reviendra, disait-il la veille de son retour à Paris, en mars 1919, ces messieurs de ce côté de l’eau trouveront non seulement le pacte compris dans ce traité, mais, par toutes ses fibres, le traité si entièrement lié au pacte qu’on ne pourra l’en séparer sans le priver de la substance vitale. » Pour sauver le pacte, il l’avait lié au traité ; il les perdit ainsi l’un et l’autre.

La principale objection des sénateurs contre le pacte était qu’il ne laissait pas, d’après eux, subsister tout entière la souveraineté des Etats-Unis. Le pays, en effet, pouvait se trouver engagé à faire la guerre sur l’ordre du Conseil de la Société des Nations. Il serait, en tout cas, éternellement mêlé à l’imbroglio des querelles d’Europe. D’autre part, c’était la porte ouverte à l’intervention des autres nations dans des questions d’ordre purement intérieur, comme les lois d’immigration ou les tarifs douaniers. Enfin, la représentation des Etats-Unis dans l’Assemblée de la Société n’était pas proportionnelle à leur importance, puisque l’Empire britannique y comptait, grâce à la place faite aux Dominions, six fois plus de voix que la République américaine. Le Sénat se divisa en trois camps : une douzaine d’« irréconciliables, » qui à la suite de Borah, sénateur de l’Idaho, s’opposaient au traité tout entier ; une majorité, conduite par Henry Cabot Lodge, du Massachusetts, président de la Commission des Affaires extérieures, qui tenait pour la ratification avec des amendements ou réserves ; un groupe de sénateurs acquis à l’Administration, qui obéissaient aux volontés du Président, admettaient avec lui que les amendements et les réserves pro- posées auraient « arraché ses dents au traité, » et demandaient qu’il fût ratifié sans modifications.

Le président Wilson décida d’en appeler directement au peuple tout entier, et il partit en septembre pour une tournée dans le pays, afin d’expliquer le traité et de créer un courant d’opinion qui forçât le Sénat à le ratifier. Il avait trop présumé de ses forces. Le voyage fut tragiquement interrompu par sa maladie, soudaine conséquence du surmenage intellectuel et de la tension nerveuse des trente derniers mois. Il dut revenir en toute hâte à Washington et s’abstenir complètement du soin des