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CARDÉNIO

DERNIÈRE PARTIE[1]

La lecture de cette lettre clandestine qu’elle avait trouvée dans sa poche, en rentrant de chez les Carmélites, jeta la Reine dans un trouble inexprimable.

Elle n’en dit rien à personne, pas même à sa nourrice, qui, pourtant, devait tout savoir, puisque, dès le lendemain, la Quentin avertit l’ambassadrice de France, qui s’empressa de le rapporter à son mari, lequel en écrivit incontinent au Roi, son maître.

La Reine, sitôt couchée, avait lu la lettre dans son lit, où elle se croyait parfaitement à l’abri de toutes les indiscrétions. Elle en ressentit d’abord une grande joie. Le premier sentiment dont elle eut conscience, c’est qu’elle n’était plus, — comme elle se plaisait à se le répéter, — une malheureuse, une déshéritée !... Comme toutes les filles du palais, comme cette ridicule Manuela de Velasco, qu’elle appelait « sa Truitonne, » comme la dernière des dernières parmi ses femmes de chambre, elle aussi, elle avait un amant !... Donc Cardénio était là ! Il lui avait tenu parole ! Une telle persévérance, une telle bravoure et une telle audace semblaient à peine croyables. Car non seulement, pour lui faire tenir ce billet, il avait dû affronter les pires dangers, mais il avait risqué la mort, et quelle mort !... A cette pensée,

  1. Voyez la Revue des 15 août et 1er septembre.