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ville, la foule se presse, très ardente. La municipalité nous attend sous un arc de triomphe ; nous descendons d’auto et nous échangeons quelques allocutions. Le cortège reprend sa marche, à pied, précédé d’un groupe de charmantes créoles dans leur costume si gracieux, qui rappelle celui de la Martinique, tout en gardant une originalité particulière. Les cris d’enthousiasme augmentent sans cesse. C’est une foule littéralement en délire, qui rompt la haie de gendarmes et sépare de moi mes compagnons. Plusieurs d’entre eux ne peuvent pénétrer dans l’hôtel de ville où nous sommes entrés : en un instant il est plein comme un œuf, on s’écrase presque dangereusement dans les escaliers et jusque dans la rue. Pourtant, autour de moi nulle bousculade à aucun moment, et la foule savait s’arrêter. Elle savait aussi se taire et écouter les discours, non seulement dans la grande salle de l’hôtel de ville, mais au dehors.

Car, après cette réception, nous nous sommes rendus sur la belle place de la Victoire, que Victor Hugues eut bien le droit de baptiser ainsi en 1794. Là j’ai assisté au défilé des anciens combattants, après un beau discours du président de l’Association. J’ai visité le port, où le Jules Michelet était arrivé et nous attendait, et j’ai parcouru la ville pavoisée, toute en fête, qui faisait pleuvoir des fleurs de tous ses balcons.

Après une courte halte à l’hôtel réservé au Gouverneur nous retournons à l’hôtel de ville, où nous attend un grand banquet. Je dois avouer que le repas fut servi très tard et très lentement : tout le personnel des cuisines avait quitté les fourneaux pour se mêler à la foule, et j’aurais mauvaise grâce à me plaindre de la curiosité sympathique de ces braves gens. Toutefois, je songeais à l’équipage du Jules Michelet, qui m’attendait aux postes d’appareillage à partir de dix heures du soir et qui dut y rester jusqu’à minuit passé : j’ai dû témoigner quelque impatience dont le député maire a bien voulu m’excuser.

Mais quelle magnifique journée ! Cette foule bigarrée était si belle à mes yeux dans le déploiement de son enthousiasme à acclamer la victoire de la liberté ! Nos hôtes nous font jusqu’à bord une conduite affectueuse, et vraiment nous regrettons tous de nous séparer d’eux si vite.


Général MANGIN.