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une inscription qui indique la compagnie d’infanterie de marine qui les a construits. Les routes sont d’ailleurs bien entretenues, grâce à la pouzzolane, gravier volcanique que le sol recèle en abondance et qui forme un excellent macadam. La végétation tropicale s’étale dans toute sa splendeur avec les bambous géants, les fougères arborescentes, les fleurs monstrueuses aux couleurs éclatantes, les ficus où les lianes s’enchevêtrent.

Dans chaque village, la population vient à notre rencontre avec des fleurs et des fruits. Il faut descendre, aller à la maison commune, où le maire me harangue, toujours en de très bons termes : il n’est guère d’arrondissement en France où l’éloquence coulerait ainsi comme de source. Puis les petits enfants récitent des compliments. Je dois répondre ; la population, déjà animée à notre arrivée, se monte encore, et notre départ est salué d’acclamations frénétiques. Il en est ainsi à Fonts-Saint-Denis, Fonts-Saint-Paul, et dans tous les villages.

Cette population d’agriculteurs est entièrement noire, sans mélange visible. Je sais bien que, dans les mélanges de sang, la prédominance de cette race sur la nôtre est constatée sous tous les climats, et que la couleur de l’enfant tient toujours de celui des parents qui est le plus foncé ; mais j’ai vu les Arabes de l’Afrique centrale et du Nil bleu, qui sont de couleur absolument noire, tout en restant Arabes, parce qu’ils se mélangent de père en fils à des négresses, et qui gardent pourtant quelques traits de leurs ancêtres et presque toujours le profil, avec le nez et le menton très accusés : ici rien de tel, et je suis en pleine Afrique noire, au cœur du Soudan. On est noir et fier de l’être, et habituellement les élus du suffrage universel se vantent de leur teinte très foncée qui prend toute la valeur d’une couleur politique, dont la sincérité et la durée sont certaines.

J’avoue que j’aime cette franchise d’allures ; elle ne devient déplaisante que quand elle se fait agressive et rappelle l’attitude de l’esclave révolté ; de nos jours, personne n’est responsable des abominations de la traite, supprimée en 1815, et beaucoup de planteurs furent des maîtres très humains ; la terrible parole de la Bible : « Nos pères ont mangé du verjus, c’est pourquoi les dents de nos fils seront agacées, » ne pèserait que sur trois générations, et c’est la République de 1848 qui a proclamé la libération des esclaves, spontanément, alors que toutes les révoltes avaient été étouffées par les régimes antérieurs. A l’égard des