Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle du sinn-fein, et d’une tactique inédite, la résistance passive qui arrête le fonctionnement de la machine gouvernementale. En 1916, il refusa de s’associer à une révolte qui prenait les aspects d’une trahison et c’est pourquoi il put, en 1921, négocier d’égal à égal avec le Gouvernement britannique et assurer à son pays, par le traité de décembre, une indépendance que les Parnell et les Redmond n’auraient pas osé espérer par les méthodes parlementaires. Griffith n’était pas partisan de la violence, mais il fut, par sa plume, le créateur et l’animateur des idées qui servirent de ralliement à la cause nationale. Il meurt au moment où le pays presque tout entier s’est rallié à sa politique.

Le vote significatif du peuple, appuyé par l’opinion des Irlandais d’Amérique, a donné à MM. Griffith et Michaël Collins le plus difficile des courages, celui de réduire par les armes les nationalistes intransigeants dont M. de Valera est le chef et qui, il y a quelques mois, combattaient avec eux contre les Anglais. Il vient toujours un moment, dans les luttes civiles, oh le succès même oblige à rompre avec les fractions extrémistes. Il en coûte cher, souvent, aux hommes d’énergie et de bon sens qui ont le courage de se résoudre à cette opération douloureuse. M. Michaël Collins, tué dans une embuscade le 23, vient d’en faire l’expérience. L’Irlande est privée de ses deux chefs. On peut espérer que la guerre civile n’en sera pas prolongée : si elle triomphait, elle aurait pour premier résultat de ramener en Irlande les troupes anglaises. Les chefs du Gouvernement républicain ont fait preuve de loyauté et de sens politique en exécutant le traité qui leur donne en fait l’indépendance ; le Cabinet de Londres, avec une modération dont le mérite revient surtout à M. Winston Churchill, a fait confiance à la jeune République irlandaise et l’a laissée prendre ses responsabilités. C’est le sort de tous les peuples longtemps opprimés qu’il leur faut faire le douloureux apprentissage de la liberté reconquise. L’Irlande a franchi, grâce à quelques hommes dont Griffith et Collins étaient les plus en vue, l’étape décisive vers l’indépendance ; il n’est pas interdit aux Irlandais d’en prévoir d’autres pour l’avenir et de s’y préparer, dans la paix, par le règne de la loi.


RENÉ PINON.


Le Directeur-Gérant :

RENE DOUMIC.