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l’énergie indispensable pour élaguer les branches inutiles de l’administration, réduire l’importance des services et le nombre des fonctionnaires à la taille du nouvel État. L’Autriche porte encore l’ample manteau impérial sur un corps réduit ; il faut lui tailler un nouveau vêtement qui ne soit qu’un justaucorps de travail. Elle le comprend, mais elle a besoin qu’on l’y aide, au besoin qu’on l’y oblige. La Société des Nations, à qui le problème a été renvoyé, a une belle occasion de manifester son activité bienfaisante ; mais il faut lui prêter main-forte et, si le Gouvernement de Vienne n’est pas sûr de sa petite armée, travaillée par le communisme et le pangermanisme, il faut venir à son aide et donner à la Société les moyens de faire prévaloir l’ordre. Tout le budget autrichien doit être, pour quelques années, soumis à un contrôle international avec le pouvoir de faire exécuter, au besoin, les décisions prises par la force. L’existence d’une Autriche indépendante est la condition indispensable de la stabilité de l’Europe continentale ; la voie du Danube que Vienne commande est la route de l’Orient ; la Suisse et l’Autriche avec ses provinces du Vorarlberg, du Tyrol et de Salzbourg sont la barrière qui protège l’Italie contre la pression directe du grand corps germanique ; les traités de Versailles et de Saint-Germain consacrent l’indépendance et l’intangibilité de l’État autrichien ; l’expérience prouve qu’il est viable, la raison politique ordonne de le faire vivre ; c’est un impératif catégorique immédiatement exécutoire. Selon qu’à Vienne se dressera une barrière ou s’ouvrira une route, il y aura ou il n’y aura pas d’équilibre politique en Europe.

Presque à la même heure, deux grands journalistes viennent de mourir qui étaient, l’un et l’autre, des forces dans le jeu de ce monde : Arthur Griffith et lord Northcliffe disparaissent en pleine activité et en plein talent. Ils étaient l’un et l’autre Irlandais, le second d’origine seulement, l’autre par toutes les libres de son être agissant et pensant. Northcliffe a fait du journalisme anglais une puissante machine à gouverner l’opinion, à la taille de l’Empire britannique, dont il avait l’ambition d’être le héraut. La France ne saurait oublier l’effort heureux que le grand journaliste accomplit pour comprendre et faire comprendre, pendant et après la guerre, son âme, sa pensée, ses intérêts, sa politique. L’imagination de lord Northclifle était sortie du cadre insulaire pour s’élever aux plus hautes compréhensions européennes et mondiales. L’âme d’Arthur Griffith, au contraire, était restée dans son île, dans cette Irlande qui réclamait toute son ardeur et tout son talent. Il a été le créateur d’une politique nouvelle.