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du moratorium il s’était d’avance lié les mains. Son siège était fait ; dès le premier jour, il fut évident, pour la délégation française, malgré la cordialité de l’accueil qu’elle reçut à Londres, que le Premier anglais ne cherchait pas l’entente, qu’il voulait une rupture dont il se préparait à faire endosser la responsabilité à M. Poincaré.

Lorsqu’à l’issue de la guerre, les hommes d’État britanniques contemplèrent l’Allemagne vaincue, sa flotte détruite, ses colonies perdues, la Russie en proie à la plus effroyable anarchie, les États-Unis, après leur brillante intervention dans les affaires de l’Europe, aspirant à rentrer dans leur continent et à s’absorber dans la politique intérieure et les problèmes du Pacifique, il leur parut qu’aucun État, en Europe et en Asie occidentale, n’était capable de faire figure de grande Puissance en face de l’Empire britannique. La France n’était-elle pas épuisée, exsangue, créancière d’une Allemagne qui ne paierait pas, débitrice d’une Angleterre qui saurait, au besoin, se servir de sa créance comme d’un moyen de pression politique ? Comme sur un mot d’ordre, on vit partout, et particulièrement dans le proche Orient, les agents du Gouvernement britannique combattre l’influence française, contrecarrer les intérêts français. Dans son livre la Crise des alliances [1], M. Alfred Fabre-Luce a exposé, en un saisissant relief, toute cette triste histoire, dont le différend d’aujourd’hui est l’aboutissement. Ainsi, au fond même du débat, apparaît un grand problème historique que nous regardons, nous, comme périmé et remplacé par d’autres préoccupations plus graves, plus urgentes, qui font de l’entente franco-britannique l’indispensable instrument de paix et d’ordre dont l’humanité a besoin, mais qui survit dans les traditions politiques de la Grande-Bretagne et qui prend des formes et une vigueur nouvelles dans l’esprit à la fois chimérique et utilitaire de M. Lloyd George. Il sait, avec un art très subtil, donner satisfaction à la fois aux hommes d’affaires, aux spéculateurs qui l’entourent, et aux idéalistes avec lesquels il reprend contact dans ses fréquentes villégiatures et qu’il régale, dans les assemblées religieuses, d’homélies humanitaires.

M. Lloyd George a aussi d’autres préoccupations plus immédiate : il pense aux futures élections. Il est le chef d’une coalition dont une fraction se détache peu à peu de lui ; un grand nombre de conservateurs aspirent à constituer un Gouvernement de leur choix. Pour ne

  1. La Crise des alliances. Essai sur les relations franco-britanniques depuis la signature de la paix (1919-1922). Bibliothèque de la Société d’études et d’informations économiques, Bernard-Grasset, éditeur.)