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héroïsme sous la main ; de sorte qu’il remplace les ressources de violence combative par les stratagèmes de l’esprit le plus avisé. Les Mahdistes ne l’épargneront pas, s’il refuse de se convertir. Eh ! volontiers : et, comme il n’est pas attaché à telle ou telle religion, celle qu’on lui offre ou qu’on lui impose ne le rend pas un renégat ; dont il se félicite. Et, racontant plus tard son histoire, il dit : « Je revins à la cabane habillé en derviche, d’une robe blanche, ceint d’une bande verte et bleue qui se retrouvait en cordelière autour d’un grand chapeau fort commode... » La commodité du chapeau serait une consolation, s’il en fallait une. Les compagnons de voyage du faux Renan, captifs comme lui désormais, n’ont pas tous la même entente de la vie. M. Guéret, capitaine émérite et qui paraît avoir été en coquetterie avec la Commune, est fort aise : il combattra. Mais il y a des religieux et des nonnes, que le « fanatisme » rend difficiles à sauver. Les religieux, on les a suspendus à des branches et on les a fouettés avec des épines ; les sœurs Barbe et Madeleine, on leur a mis le carcan. Voici la novice Mathilde, affolée de martyre. « Allons, lui dit le faux Renan ; je suis aussi peiné qu’on peut l’être de ces cruautés inutiles ; mais n’avez-vous pas exaspéré ceux qui nous ont à présent en leurs mains ? ils demandent si peu de chose. — Certes, dit M. Guéret ; une ou deux simagrées ce matin, et j’en suis quitte pour être musulman... Mathilde le regarda avec tant d’horreur qu’il se retourna en grommelant. » Le faux Renan essaye de faire admettre à la novice que nulle opinion des hommes ne vaut qu’on lui sacrifie sa vie, et n’y parvient guère...

Et vous songez à Candide.

Mathilde s’adoucira ; et puis Mathilde se repentira ; et, par moments, elle vous fera songer à cette « dame en servitude » qu’il y a dans la Captivité de Saint Malo, de La Fontaine, à propos de laquelle Saint Malo, un peu alarmé, dit au Seigneur :


Tu m’as donné pour aide, au fort de la tourmente.
Une compagne sainte, il est vrai, mais charmante !...


Et, si le roman de M. André Thérive nous procure de tels souvenirs, de Voltaire et de La Fontaine, j’en ai dit la bonne qualité.

Parmi nos jeunes romanciers, l’auteur du Voyage de M. Renan est un lettré accompli et qui ne croit pas qu’il faille bouleverser les siècles admirables de notre littérature pour y être jeune et tout neuf.


ANDRÉ BEAUNIER.