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ne lui ont pas fait acquérir « la fameuse connaissance des hommes ; » et maintenant il peint sur la toile « des aventures imaginaires où la nature ne tient qu’un rôle décoratif. » Jean Bogaert, ayant de tous côtés vu l’imprévu, s’établit de propos délibéré dans l’extravagance.

Le héros de M. René Thévenin, Barnabé Tignol, est de Paris et demeure en plein Paris. Mais il a son domicile dans le ventre d’une baleine, au Jardin des Plantes. Il a meublé tant bien que mal ce ventre et même y invite à partager sa destinée, pendant quelques jours, une Blanche-Marie, douce personne et très honnête. Nul voyage, fût-ce en compagnie de Jean Bogaert, n’eût procuré à Barnabé Tignol plus d’aventures qu’il n’en court dans le cinquième arrondissement, soit qu’un hippopotame le suive en ses nocturnes et hardies promenades, soit qu’on le prenne pour un professeur du Muséum, et que ses hauts et bas de fortune le mènent au hasard. Le Castagnol de M. Lamandé, un rôtisseur du quartier latin, c’est encore un drôle de corps. Elle gros garçon, d’humeur tranquille, qu’a dessiné M. André Thérive à l’imitation de M. Renan, traverse la mer dangereuse et, dans les plus terribles conditions, visite l’Afrique, devient mahométan, s’égare en ces deux grands déserts, les sables et l’idéologie.

Nos jeunes gens n’ont plus l’imagination sédentaire ou confinée. On dirait qu’ils ont aperçu, à la guerre, maintes choses venues d’ailleurs et qu’ils ont fait connaissance avec ce que nous autres avons ignoré. Le monde s’est agrandi devant eux, probablement. Et, comme ils perdaient, en même temps, l’habitude, aimable et petite aussi, d’être chez soi, ils vagabondent volontiers. Peut-être vont-ils nous élargir à merveille les horizons de la littérature.

Je n’ose rapporter à la guerre toutes leurs innovations, et jusqu’à leurs manières... Ils ont pourtant une vivacité, assez brusque, et une désinvolture qui serait assez bien celle de bons soldats, — jeunes et. promptement, vieux soldats : — point de cérémonies, ou de menue ? précautions ; voici, voilà et c’est ainsi !

Leurs personnages, ils ne vous les présentent pas ; les voici, vous les aimerez ou non, les approuverez ou non, les comprendrez ou non. Les voici, très vite crayonnés. Ce sont des caricatures ? Seulement, ces caricatures vivent tout à coup. Je suppose qu’à la guerre on devait rencontrer de ces types, qu’on avait tout juste le temps de regarder : on les devinait aussitôt, sans recourir aux méthodes si lentes de la psychologie. Et puis les circonstances de la guerre ont créé, dans les âmes, une soudaineté que la méticuleuse analyse ne saisit pas. Nous avons accoutumé d’appeler raison le train de pensée