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lorsque les réserves en monnaie d’or et d’argent ou en billets de la Banque de France sont épuisées, le Gouverneur fait savoir qu’il n’accepte les bons de Ville qu’à titre d’acompte, et à raison de leur pouvoir d’achat en marks allemands.

Ce système instaure donc une nouvelle pénalité, les communes étant obligées de subir les conséquences de la dépréciation de leurs bons, par rapport à la monnaie allemande. Elles sont condamnées à l’inflation forcée, sans pouvoir faire appel à la pitié de l’Europe, comme le fait actuellement l’Allemagne, en présence de la dépréciation de son mark.

Dès les premiers mois de 1915, l’oppression financière, déjà si lourde, prend encore d’autres formes, avec une marche accélérée. Pour la malheureuse cité, en partie détruite, constamment bombardée, la situation devient chaque jour plus critique. En moins de six mois d’occupation, Lille a déjà versé au delà de 17 millions de contributions, soit environ 100 francs par tête d’habitant, et subi des consignations et réquisitions pour un chiffre de 200 millions.

Au gouverneur von Heinrich qui exige des paiements en espèces, le maire répond : « J’ai épuisé tous les moyens en mon pouvoir, le tonneau est vide et il m’est impossible de le remplir. » Le Gouverneur se borne à confirmer, par une lettre du 29 juin 1915, que les paiements doivent, coûte que coûte, s’exécuter. Voici son ultimatum :


Il n’y a pas le moindre changement pour ce qui concerne votre obligation ; je me sens, bien au contraire, obligé d’annoncer, de la façon la plus précise, que je vous rendrai responsable, vous, aussi bien que toute la population, d’une cessation éventuelle dans ce sens.

C’est à vous de trouver un moyen pour obtempérer à mon ordre, de la manière la plus exacte. En tout cas, un des modes à votre disposition est de vous procurer les espèces, par l’intermédiaire de l’administration allemande, dans les Banques des pays neutres.


Sur cette suggestion d’avoir à se procurer de l’argent, au besoin dans les pays neutres, le maire fait savoir qu’il ne s’estime nullement autorisé à recourir à cette négociation, d’abord parce qu’il n’a aucune garantie à offrir à des banques étrangères pour solliciter un emprunt, ensuite parce que tout contrat de ce genre serait sans valeur, les délibérations du Conseil municipal étant de nul effet, si elles n’ont pas été ratifiées par le ministre de l’Intérieur.