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Ne nous hâtons pas trop de déclarer que l’homme qui écrivait ces lignes est entièrement détaché du catholicisme. Le 21 mai 1834, il écrivait à M. de Coux : « Mon intention est de rester soumis dans l’Eglise et libre en dehors de l’Eglise... Dans l’attente de ce qui sera, on doit demeurer uni à l’institution existante, adhérant de cœur à tout ce qui est bon et vrai, séparé de cœur de tout ce qui est mauvais et faux, sans même, quand on le peut, s’occuper de fixer exactement la distinction entre ce qui est divin et ce qui est humain, chose quelquefois très difficile. » Et nous savons qu’au début d’août il avait l’intention très arrêtée de reprendre la célébration de la messe, si toutefois on ne prenait aucune mesure canonique contre lui.

Que conclure de tout cela, sinon qu’en 1834, même après l’encyclique Singulari, l’âme de Lamennais, très partagée. n’était pas encore décidée aux résolutions extrêmes ? Mieux entouré, manié par des mains à la fois plus habiles et plus charitables, n’aurait-il pas pu être ramené à une conception plus sage des choses et s’épargner à lui-même le douloureux démenti qu’il allait bientôt donner à tout son passé ? On est d’autant plus fondé à se poser la question que les raisons d’ordre « scientifique » ou philologique n’ont été absolument pour rien, — M. Duine l’observe justement, — dans son évolution spirituelle. On n’avait pas encore inventé, dans ce temps-là les crises d’irréligion à base d’exégèse ! Lamennais n’avait pas d’opinion particulière sur la date du Pentateuque. Et ce ne sont pas non plus des raisons proprement philosophiques qui l’ont détaché du dogme chrétien : on ne voit pas qu’il ait changé d’avis sur la valeur et la portée de la raison, ou sur l’autorité de la loi du devoir. Les raisons qui ont ruiné sa foi religieuse sont d’ordre exclusivement moral, et même sentimental. C’était un malade, un nerveux, — j’allais dire un neurasthénique, — auquel l’équilibre du tempérament, du caractère et de l’intelligence a toujours été refusé. Obstiné avec cela,