Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 11.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

société, des hommes qui aimeraient tout secouer autour d’eux. L’Amérique les a, jusqu’ici, peu utilisés. Ils la scandalisent. Cependant, à la longue, les meilleurs deviennent pour sa vie intellectuelle des ferments.

Dans un livre intéressant, rempli d’aperçus nouveaux et de renseignements, le critique américain M. Waldo Franck a étudié l’esthétique actuelle de son pays [1]. Venant à Mark Twain et à Jack London, qu’il appelle des pionniers, il expose leur cas : l’un et l’autre s’évadant de leur véritable tâche qu’ils ne se sentent pas la force d’entreprendre. Il estime que Jack London « fut physiquement un homme et profondément un enfant, »

Un enfant, ou un romantique ? Dans une petite note, M. Waldo Franck raconte que, les amis de Jack London parlant de nouvelles que celui-ci aurait écrites et jamais publiées, M. Franck lui demanda ces nouvelles pour une revue qu’il dirigeait. Jack London répondit qu’il n’avait rien de tel ; que, si l’Amérique avait pour les livres intéressants autant d’avidité que la France, sans doute en eût-il composé... Ainsi, il n’avait rien écrit qui fût selon son véritable attrait ! Et il en accusait son pays et son temps...

De reporter ainsi au compte du destin des obstacles qui existaient surtout en lui-même, London peut bien être appelé un romantique d’outre-mer ; d’autant qu’il est romantique aussi par le goût de l’excès et l’amour de l’effet. Il fut un de ces hommes, à l’imagination véhémente, qui ressentent de confus désespoirs sans réussir à les dominer. Peut-être, dans sa jeunesse, avait-il entendu quelque Muse, quelque Sirène, une descendante de la Chimère qui parlait cent ans plus tôt dans les bois de Combourg. Et il fut ensuite toute sa vie mécontent de lui-même, parce qu’il ne pouvait plus se rappeler exactement ce qu’elle lui avait dit. Seul l’écho de sa voix subsistait... C’est peut-être une faiblesse chez un artiste que de ne pas savoir tout rejeter pour suivre ces séduisants appels. Mais c’est un privilège, c’est un don de l’esprit, que de les avoir du moins entendus et de ne pouvoir plus les oublier.


E. SAINTE-MARIE PERRIN.

  1. Notre Amérique, traduction Boussinesq, à la Nouvelle Revue française.