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tronc d’arbre, guettant tout ce qui bouge, insectes, animaux au poil fauve. Il rentre au camp, et il dresse l’oreille. Soudain il bondit et file droit devant lui, court pendant des heures sous la voûte des bois. Une nuit, il est réveillé en sursaut ; il se dresse, alerte, les yeux brillants, les narines frémissantes. L’appel se fait entendre, tout près cette fois, plus clair et plus net que jamais. Est-ce le long hurlement d’un « chien indigène ? »

Rapide et silencieux comme une ombre, il quitte le camp endormi et s’élance sous bois. En approchant de l’être inconnu qui l’appelle, il ralentit son allure et s’avance prudemment.

Tout à coup, au cœur d’une clairière, il voit, assis sur ses hanches et hurlant à la lune, un loup de forêt, long, gris et maigre.


Après des approches méfiantes, une subite compréhension s’établit entre eux : « le loup cessa de montrer les dents, il laissa Buck lui flairer le museau, et ils se mirent à jouer ensemble, de cette façon nerveuse et timide qui semble démentir la réputation de férocité des bêtes sauvages. »

Buck est parti pour jamais, et le camp des pionniers saccagé par les Indiens, mais la légende de Buck commence. Les maigres tribus qui habitent ces contrées parlent d’un chien géant, d’un « Chien-Esprit » qui mène la bande des loups, plus rusé qu’aucun d’eux.


Les hommes le redoutent, car il ne craint pas de venir marauder jusque dans leurs camps, renversant les pièges, tuant les chiens, s’attaquant aux chasseurs mêmes. Parfois ceux-ci ne rentrent pas de la forêt, on trouve leur corps sans vie, la gorge ouverte. Il est « l’Esprit du mal. » Tous évitent la vallée où les pionniers blancs furent massacrés jadis, car la présence du visiteur des bois y jette l’épouvante... C’est, dit-on, un loup géant, à la fourrure superbe, à la mine hautaine et dominatrice. Il s’avance jusqu’à une clairière où des sacs en peau d’élan à moitié pourris dégorgent sur le sol un flot de métal jaune, et avec un long hurlement, dont la tristesse glace le sang, il reprend sa course vers la forêt profonde qui est désormais sa demeure.


C’est autour de ce petit livre charmant et nostalgique que s’est fait l’accord du public américain sur le nom de Jack London. Pour tous ses autres livres, la critique des Etats-Unis est indécise à son égard. Elle flotte entre l’éloge et le blâme, — ainsi qu’elle l’a fait si longtemps à l’égard de Poë, de Whitman. Et l’immense suffrage populaire qui lui a valu des éditions et