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qu’ils le voient ; aussi rien de ceci ne lui échappait-il. On déchargeait des baleinières. Il examinait l’animal à la lueur des lanternes que portaient les négrillons.

— Un bon chien, et un chien de valeur.

Il regarda autour de lui ; personne ne le voyait.

Un second coup d’œil au chien acheva de le décider. On entendait des bruits d’aviron qui annonçaient l’arrivée d’un nouveau bateau. Il s’en alla négligemment, à une centaine de pas, et s’assit sur le sable.

Un petit piétinement, quelques reniflements légers. C’était bien : le chien l’avait suivi. L’homme allongea la main et saisit à pleine paume la tête et l’oreille de la bête. Oh ! nulle menace, mais nulle pusillanimité. Un geste cordial et confiant ; le chien eut confiance. De la rudesse sans brusquerie, de la protection sans bassesse. Un homme, non un tyran. Et une voix joviale se moquait de lui.

— Parfait, chien ! ne t’en va pas, tu attends des diamants sans doute, on va t’en donner.

Il allume sa pipe et fait semblant d’oublier le chien, mais il ne cesse de le regarder, de ses petits yeux bleus sous ses gros sourcils.

Et Michaël souffrit parce que ce délicieux dieu à deux jambes ne s’occupait pas de lui. Il le tenta par « l’invitation à jouer, » le museau contre terre, les pattes allongées, le ventre incurvé, un petit bout de queue faisant des signaux allègres.

Et l’homme ne bougeait pas ! C’était une vraie scène d’amour. Il n’y manquait même pas la basse intention de trahir. Michaël voulut s’en aller, mais l’homme le retint rudement.

― Ici, chien, dit-il.

Puis, nonchalamment, il laissa tomber sa main sur l’oreille de Michaël, et de ses doigts au contact affiné par une sensitive sympathie il commença de caresser la base de cette oreille sur la peau tendue du petit crâne. Michaël aima cette caresse intime, et dans le plaisir, tout son corps ployé frissonnait... Les oreilles, les épaules, les flancs, la queue, les reins furent successivement caressés par les doigts magiques... Quand Michaël fut bien dans l’extase, Dag Daughtry le soupesa, le laissa retomber, reprit sa pipe... Et le chien vint allonger son museau sur les genoux de l’homme.


Le destin de ce confiant animal est fort pitoyable. D’abord heureux à bord avec son cher maître le steward, un naufrage les force à débarquer. Rapatriés à San Francisco, l’homme et le chien ne se quittent plus : car Michaël est un « chien ténor, » un chien « qui chante, » qui accompagne, d’un hululement modulé et rythmé, les romances de Dag Daughtry, Roll me Down to Rio ou Home, Sweet Home, et qui émerveille le public