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orages, les « pamperos » de l’Atlantique, à hauteur de la Plata, assaillent le voilier. Doubler le cap Horn demandera six semaines, durant lesquelles la même manœuvre, descendre vers le Sud pour passer au large du Cap et éviter les roches et les falaises de ses abords, est indéfiniment combattue par l’obstiné vent d’Ouest qui souffle en ces parages, et le courant opposé des eaux. Le froid, les blessures, la lutte, épuisent les hommes d’équipage. Combien déjà avaient juré qu’on ne les reverrait jamais au cap Horn !

La mutinerie se produit dans le Pacifique. Le capitaine et le second morts de mort violente, c’est le passager qui a pris le commandement. La lutte est engagée entre le capitaine improvisé et les quelques bandits qui survivent ; entre eux le bateau demeure impuissant, ballotté au gré de la mer, pareil à une épave, les voiles gisant sur le pont, les quatre mats de fer dressés inutiles ; par bonheur, le temps est mou ; le bateau suit sans guide, mais sans tempête, les courants qui le mènent et le ramènent. Finalement, les hommes du bord sont vaincus par la faim et Pathurst débarque à Seattle un équipage prisonnier. La randonnée de l’Elsinore avait duré huit mois.

Plus encore que cette suite d’incidents tragiques, de drames enchevêtrés, c’est la sensation de monotonie de ce périple en mer qui donne au récit un caractère de détresse, et qui en fait la grandeur. Le lecteur a l’impression qu’il a vécu sur ce navire en proie aux éléments, en butte au soulèvement des profondeurs, manœuvré sans répit, entouré des souffles infinis dont il faut se défendre ou se servir, et revêtu, comme d’une chappe pesante, tantôt de la chaleur implacable, tantôt du froid des régions antarctiques.

Le goût de brutalité qu’avait Jack London se satisfait dans ces histoires maritimes, dans l’Elsinore comme dans Le loup de Mer. Au cours de la traversée de l’Elsinore, trois « revenants de la mer, » embarquent soudainement avec un paquet d’eau. On est aux environs du Horn ; ces inconnus sont des naufragés, mais vivants, qui se débattaient sans doute dans l’eau depuis plusieurs heures ou plusieurs jours. La violence de l’eau les a jetés sur ce navire qui passait, comme elle y avait jeté une heure auparavant un baril de rhum. D’où viennent-ils ? On n’en saura jamais rien, car ils parlent une langue que personne ne connaît à bord. Ce sont des blancs, c’est tout ce qu’on sait d’eux. Comme