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de l’Albanie se réunirent à Lushnja, accompagnés de milliers et de milliers de patriotes, — et il y en aurait eu bien davantage encore, si l’administration italienne, alors prédominante, ne s’était ingéniée à retenir un grand nombre d’hommes.

Les délégués, réunis dans la maison d’un notable, se constituèrent en Assemblée nationale, déclarèrent déchu le gouvernement provisoire de Durazzo, nommé par l’Italie, et qu’elle tenait sous son influence. En face des dangers qui menaçaient et tandis que trois Puissances détenaient encore une partie de son territoire, l’Albanie fut ainsi constituée en Etat souverain, son unité affirmée, son gouvernement désigné.

Nous sommes entrés dans la maison désormais historique. Au seuil de cette salle, longue, toute nue, claire avec sa frise au pochoir bleue et grise sur fond bis, sa haute plinthe blanchie à la chaux, et qui ouvre neuf fenêtres sur la terre d’Albanie, quelle émotion vous saisit ! La grandeur d’une résolution unanime, d’une volonté qui ose, l’aspiration refoulée au cours des siècles, qui se fait jour enfin, s’exprime, éclate, en dépit des obstacles et malgré les périls, non pas en vaines clameurs, mais dans l’acte de ces hommes que nous nous représentons graves, parlant à mi-voix, étreints par une émotion trop vaste. — Et tout autour d’eux, autour de la maison, les appuyant, répandus sur la place et jusqu’au bas de la colline, débordant la cité trop étroite, cette foule de pèlerins, silencieuse elle aussi, qu’une volonté pareille a conduits à Lushnja : être libres...

Des montagnes les plus lointaines, des villages perdus, ils se sont mis en route, le long des sentiers difficiles, et, devant eux, ils voyaient avancer, confuse encore, — et leurs yeux, fervents la cherchaient, la découvraient, — l’étoile qui rayonne sur toute vie qui commence...


NOËLLE ROGER.