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pédanterie, bien équilibré, l’esprit enjoué, parfois caustique, mais sans méchanceté ni envie ; optimiste il l’est, car c’est être optimiste que se contenter de ce que vous donne la vie, et ne pas trop exiger d’elle : « Ce pauvre monde est ainsi fait, a écrit notre romancier, qu’il est bien difficile d’avaler un verre de vin où il n’y ait pas une mouche. Quand le vin est bon, et que la mouche n’est pas trop grosse, il faut boire. » Je me l’imagine encore modeste, sans humilité, fort indépendant et doué de cette netteté d’opinion que j’ai pu reconnaître en lui bien plus tard et qu’il admirait tant… chez les autres ! Il a écrit, parlant de l’un de ses personnages : « Rien qu’à le voir, on devinait en lui un homme incapable de se laisser lier les mains, et la seule langue que cet habile philologue ne put apprendre, ce fut le jargon d’une coterie. » Ces mots sont faits pour lui.

Après avoir lu son premier livre, « dialogue exquis » rédigé sur le bateau qui, en 1859, le ramenait d’Athènes, et qu’il intitula A propos d’un cheval[1], George Sand écrivit à son ami François Buloz : « Mauvais titre, admirable ouvrage, précieux ouvrage d’un jeune ou vieux homme que je ne connais pas, mais que je sais être le fils du professeur Cherbuliez de Genève, et peut-être le neveu du libraire de ce nom. Voilà un talent que vous devriez avoir à la Revue, lisez vous-même et voyez. » Ce fut par Joël Cherbuliez que le romancier parvint à la Revue : le premier roman qu’il y publia fut le Comte Kostia, intitulé primitivement Fédor.

J’ai entre les mains les notes que rédigeait alors au jour le jour André Cherbuliez. On y retrouve la trace de son anxiété aux premiers débuts d’un fils bien-aimé. Sera-t-il déçu ? François Buloz l’adoptera-t-il à la Revue ?

« Janvier 1862. — Hier, réponse défavorable de François Buloz à mon fils. Lettre polie et louangeuse pour l’homme, mais demandant une correction du roman. L’œuvre est trop longue pour la Revue. Reproche le manque de rapidité du récit.

20 janvier. — Le moral de mon fils plus affecté qu’il ne serait à désirer par cette traverse dans son début comme collaborateur de la célèbre et trop ambitionnée Revue des Deux Mondes.

  1. Les Causeries athéniennes. À propos d’un cheval.