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comme on voit le fond d’un lac à travers une eau limpide. ; Sans prendre aucune matérialité, elle se condensa suffisamment pour avoir l’apparence d’une figure vivante, mais d’une vie si légère, si impalpable, si aérienne qu’elle ressemblait plutôt au reflet d’un corps dans une glace qu’à ce corps lui-même. Certaines esquisses de Prud’hon à peine frottées, aux contours noyés et perdus, baignées de clair-obscur et comme entourées d’une brume crépusculaire dont les draperies blanches semblent faites avec des rayons de lune, peuvent donner une idée lointaine de la gracieuse apparition assise devant le piano de Malivet. » Ombre charmante en effet, qui est bien la sœur de la femme-cygne de la Symphonie en Blanc Majeur, dans Émaux et Camées, et dont l’apparition éloigne de nous, tant elle nous captive par les procédés d’art, presque toute impression de mystère et de surnaturel.

Constatons donc, sans multiplier les exemples, que des écrivains qui ont cru au spiritisme ou se sont inspirés de lui, n’ont pas reçu de lui le signe sacré.

Pourquoi Victor Hugo est-il différent ? Pourquoi perçoit-on dans Ce que dit la Bouche d’Ombre, dans Dieu, dans la Fin de Satan la trépidation du trépied, d’où vient la montée dans l’âme de Victor Hugo de l’effluve apocalyptique ?


Tout d’abord, il faut tenir compte du tempérament de Victor Hugo. Le cerveau de Victor Hugo est une machine qui fonctionne à son maximum de pression : l’afflux sanguin, constamment alimenté chez lui par un appétit prodigieux, excite sans relâche les cellules cérébrales : il dort peu. L’hérédité est pour quelque chose dans cet état : on sait dans quelle folie sombra Eugène Hugo, le jour du mariage de son frère, et quelle fut la vie de la fille aînée de Victor Hugo, d’Adèle, qu’à son retour de l’Inde, sa famille dut renoncer à garder et à soigner. Charles Hugo fut un médium d’une extrême sensibilité, ce qui ne va pas sans quelque faiblesse nerveuse. En revanche, Hugo est merveilleusement équilibré : mais, au moment de ses pratiques spirites, son médecin fut inquiet de son hypertention cérébrale et l’avertit. Antérieurement au spiritisme, Hugo est prédisposé aux terreurs et aux superstitions. « Tu as toujours eu cette disposition, lui dit Mme Victor Hugo dans le