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elles ont l’air de douces créatures craintives ; elles se tassent, accroupies dans un coin de la scène, la main dans la main, chantant seulement une chanson gutturale et triste : le contraste est vif entre leur simplicité timide et la complication artificielle de leurs sœurs japonaises.


LA CHINE


I. — EN MANDCHOURIE
23 février.

À neuf heures, départ de Séoul au milieu de la même curiosité de la foule. Long voyage vers le Nord, dans un paysage d’hiver : des arbres rares, encore de la neige au penchant des montagnes et, toujours répandue sur toutes choses, la merveilleuse couleur d’or vieux. À toutes les stations, les autorités locales, des officiers, des missionnaires, des enfants, des curieux où l’élément japonais diminue à mesure qu’on approche de la frontière, des Marseillaises : tout cela, très bien réglé et très discipliné ; jusqu’aux extrêmes limites de l’Empire du Soleil Levant, on sent une seule volonté qui ordonne et qui est obéie.

À dix heures du soir, en pleine nuit, sur un grand pont métallique et bruyant, le train franchit le Yalou, qui forme la frontière Nord : sur la rive septentrionale, le Maréchal est en Mandchourie. Alors, comme pour lui donner une première image du pays, une scène étourdissante se produit : à peine le train stoppé, son wagon est envahi soudain par une bande de grands hommes jaunes se bousculant pour l’approcher : ils sont dans les tenues les plus diverses, en chapeau haut de forme, en casquette de fourrure, en pelisse, en habit, en smoking, en veston ; quelques uniformes. Ce sont les Chinois envoyés par le Maître actuel de Moukden pour saluer le Maréchal ; certains le prennent par le bras, voulant l’emmener on ne sait où ; d’autres vont jusqu’à manifester le désir de l’embrasser ; cependant que le quai est couvert d’une foule turbulente, de soldats entraperçus dans l’ombre, de musiques et d’invraisemblables drapeaux : la confusion est à son comble, quand, par bénédiction, le train repart, sans avertissement, coupant court à cette sorte d’alerte ; il emmène malgré eux une partie de ces enthousiastes ; animés certes des meilleures intentions, on découvre vite qu’ils sont surtout désireux d’accaparer leur nouvel hôte, sous le nez des