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semblable à celui qui coiffe le soldat de Rembrandt, dans le portrait célèbre de l’Homme au casque d’or, mais que nul ne portait plus au temps de Turenne, en dehors des simples piquiers, — engin anachronique et bizarre, adopté par le rude maréchal, sans doute parce qu’il le jugeait pratique, de préférence aux feutres à la mode, mais qui devait paraître sur la tête d’un grand chef, en 1647, aussi extraordinaire que, plus tard, aux combattants d’Isly, la mirifique casquette dont se coiffait le maréchal Bugeaud victorieux. Quant à l’armure complète, gravée d’or qui l’accompagne, sans doute il ne la portait guère en campagne : c’était un habit d’honneur.

Nous voyons donc les armures qui ont reçu des coups, qui ont protégé leur homme, présenter des organes très compliqués, puis se simplifier et s’atrophier jusqu’à celle de Turenne, qui ne peut plus être qu’un costume de cérémonie. Nous devinons, dès lors, aisément à quoi peuvent servir celles qui luisent sur les maréchaux de Versailles parmi le déploiement ostentatoire des satins, des velours et des dentelles. Elles servent évidemment à désigner les grands chefs, puisqu’on s’en pare d’autant plus dans l’image idéale qu’on veut laisser de soi qu’on les porte moins dans la réalité. Et, en effet, c’est à ce moment que la cuirasse devient le signe du commandement supérieur. Qu’est-ce à dire, sinon que le propre d’une chose honorifique est de ne servir à rien, d’être un signe au lieu de remplir une fonction ? Ou, plus précisément, que l’esprit humain ne peut pas associer l’idée de grandeur à l’idée d’utilité, et qu’il faut, pour signifier la première, qu’un objet soit devenu superflu. Tel, le bâton même de maréchal, qui est le fouet d’Osiris, le cep des Centurions, l’engin qui ne tue pas, — il est au-dessous d’un grand chef de tuer lui-même, ce qui est une besogne, — mais qui frappe et châtie, c’est-à-dire, dès les temps primitifs, le signe d’autorité par excellence. Telles, les vastes « épaulières » de fer, qui se réduisent peu à peu et remontent, tandis que la passe-garde s’abaisse, jusqu’à se rejoindre les unes et l’autre dans les « épaulettes, » réservées dès lors aux officiers : flots de fil d’or chez le maréchal de Saxe, encore épaisses et abondantes chenilles chez Suchet, qui s’éliment et se ratatinent jusqu’à ne plus être, chez le maréchal Foch, que de minces pattes, où nul ne reconnaît la hautaine passe-garde d’autrefois. Quant à l’armure elle-même,