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J’ignore le plaisir et la caresse impure ;
Je rêve d’un amour fait d’astres et d’éther ;
Je suis un clair miroir dans la sombre nature,
Qui réfléchit la vie immarcescible et pure.
Prenez-moi, lumineuse, au bord du gouffre amer !


Il ne faut point parler d’influence, mais d’une espèce de fraternité, singulièrement émouvante, qui fait qu’à travers les mers, ce peuple aperçoit dans l’idéal français sa propre image, et qu’il vient vers nous par le mouvement naturel de son être. A la Faculté des Sciences, j’ai pu assister à un cours de géographie physique, fait par le distingué directeur de l’Institut météorologique. Il s’agissait de la circulation atmosphérique, et dans son cours passaient les noms et les idées de savants français : Teisserenc de Bort, de Tastes, A. Berget… Une des gloires de la Faculté de Médecine de Montevideo, le docteur Navarro, est un lauréat de l’Internat de Paris ; par lui la science française exerce là-bas son influence ; un autre médecin, le docteur Blanco Acevedo, a, pendant la guerre, soigné les blessés français avec un dévouement égal à sa science.

Fraternité lointaine, récompense que la France d’autrefois a gagnée aux Français d’aujourd’hui. Toute la souffrance que notre pays a acceptée au cours des âges pour la justice et pour la liberté a porté ces fruits merveilleux. Quand je suis allé en Uruguay, je revenais de Mayence, et j’avais vu ce cimetière où dorment, encore ignorés, les soldats de Kléber. Et voilà qu’à trois mille lieues de là, je rencontrais un pays qui s’était formé depuis un siècle, sur l’idéal pour lequel ces soldats étaient morts. Ce pays nous rendait en amour le sacrifice de nos pères. Comment, à ce moment émouvant, ne pas penser à nos soldats, qui venaient de renouveler par centaines et centaines de mille le même sacrifice ? Comment ne pas espérer que, dans des années, un autre voyageur, au bout de la terre, retrouvera pareillement leur mémoire, et que, ce sang versé, l’univers délivré nous le rendra encore en amour ?


HENRY BIDOU