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d’étudiants. Non seulement l’enseignement primaire, mais l’enseignement secondaire et supérieur sont gratuits. Cette idée généreuse, fort onéreuse pour l’État, est peut-être une cause de l’engorgement des Facultés.

La société est, dans son fond, très imbue encore des mœurs espagnoles, ce qui est d’autant plus singulier qu’elle comprend des Italiens, des Tchèques, des Suédois, mais fondus et remaniés sur le modèle criollo. La séparation entre les sexes est presque absolue. Un homme ne rend point visite à une femme. Les réceptions n’existent pour ainsi dire pas. Les hommes invitent leurs amis au club, mais l’étranger ne franchit guère le seuil de la maison. Il y a tout au plus quelques exceptions dans le corps diplomatique. Comment ne pas nommer M. Auzouy, qui, avec sa charmante femme, a fait de la légation de France un des centres où toueo la société se réunit ? Et j’ai été encore témoin de l’accueil chaleureux qui a été fait à M. Risler chez M. Cuevas, ministre du Chili.

Tandis que, chez nous, la vie de la femme ne commence guère qu’au mariage, en Uruguay, par une loi contraire, les jeunes filles ont une certaine liberté, que la femme n’a plus. Non seulement les jeunes filles vont au théâtre, sortent seules, se fiancent tôt et, dit-on, plusieurs fois, mais elles ont fondé un club, Entre nous, qui donne des thés, des conférences, et qui est gouverné à merveille Au contraire, les femmes, retenues le plus souvent par le soin de nombreux enfants, ne sortent guère. Ceci ne les empoche pas, j’imagine, de rester jolies, coquettes, capricieuses, incertaines, abondantes en paroles un peu rauques, — et de se faire habiller à Paris. De l’Espagne encore, vient celle habitude que la promenade à pied serait presque un scandale. Chacun a son automobile, de même qu’à Séville, il y a vingt ans, tout le monde avait sa voiture.

Je n’ai eu, ni à Montevideo, ni à Buenos-Aires, le sentiment d’une société ploutocratique, où chacun fût estimé d’après sa fortune. Cette brutalité répugne au tempérament latin. En Uruguay comme en Argentine, chacun paraît à l’aise. Il y a d’ailleurs entre les deux pays une différence sensible. L’Argentin est fastueux et dépense volontiers. La vie lui est plus facile ; ceux-là même qui s’étaient ruinés, s’ils ont eu la prudence de garder un bout de terrain de leur héritage, se sont retrouvés, par la plus-value du sol, plus riches qu’auparavant.