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femme. Une chose en tout cas est sûre, et très caractéristique des habitudes de rêverie et d’art de Chateaubriand. En 1823, tout jeune qu’il fût encore de cœur et d’allures, en dépit de ses cinquante-cinq ans, dès qu’il lui arrive de transformer en « littérature » une aventure personnelle, et, si je puis dire, de « styliser » sa vie sentimentale, c’est l’idée, douloureuse et voluptueuse tout ensemble, de l’amour fuyant la vieillesse, qui se présente spontanément à sa pensée et à sa plume. Son imagination anticipe sur la réalité de l’avenir. Dès maintenant, ce trait curieux de sa nature est à noter avec soin.


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Consulté sur les questions d’identification que soulevait la publication de tous ces textes, l’abbé Pailhès, qui connaissait si bien son Chateaubriand, et qui avait révélé les lettres à Mme de C… avait été amené à donner son avis dans une série de lettres et de notes qu’Emile Faguet a résumées de la manière suivante : « M. Pailhès, écrivait-il, ne croit pas que l’Occitanienne des Mémoires authentiques et la personne à qui se rapporte la confession délirante soient la même personne ; mais il ne croit pas non plus que l’Occitanienne soit Mme de Vichet ; et il croit que c’est Mme de Vatry née Hainguerlot ; et d’autre * part, il croit que la confession délirante doit se rapporter à l’année 1834 et n’est du reste qu’un exercice littéraire. »

Pour identifier l’Occitanienne avec Mme de Vatry, l’abbé Pailhès se fondait sur une lettre écrite le 6 août 1841, par Chateaubriand, à Mme Récamier, et que voici : « A propos, ne connaissez-vous pas une Mme de Vatry, Mlle Hainguerlot ? Elle prétend que je l’ai fait danser sur mes genoux lorsqu’elle était petite fille. Mes genoux sont bien glorieux. Je crois l’avoir rencontrée autrefois aux eaux de Cauterets, lorsqu’elle était une vraie lionne, alors que je donnai stupidement ma démission pour plaire à des hommes qui sont devenus mes ennemis. » Vogué n’avait pas de peine à observer que Mme de Vatry, ayant en 1829 vingt-six ans, et non seize, étant d’ailleurs, à ce moment-là, mariée depuis neuf ou dix ans, enfin n’étant pas occitanienne, ne peut pas être « l’étrangère » des Mémoires. Vogué a raison, sous la réserve pourtant que la page des Mémoires ne nous offre pas une de ces « transpositions imaginatives » auxquelles Vogué lui-même est forcé d’avoir recours