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ambassadeurs » et écrivant à la femme aimée des lettres enflammées, « naïves et folles comme les épîtres amoureuses d’un collégien. » Je ne suis pas très sûr que les choses se soient passées d’aussi romantique façon. J’ai sous les yeux les épreuves du 5e volume de la Correspondance de Chateaubriand, que publie M. Louis Thomas : je constate que la plus vive et la plus « folle » des lettres de Chateaubriand à Mme de C… — et dans laquelle d’ailleurs il ajourne un rendez-vous, pour une « raison de service, » — s’y trouve encadrée, sous la même date du 5 octobre 1823, de deux lettres : une lettre charmante, mais parfaitement sage et correcte à… Mme Récamier, et une autre, « confidentielle, » longue, pleine, parfaitement lucide et nullement impatiente au prince de Polignac, notre ambassadeur à Londres. René avait du temps pour tout ; et ses heures de folie n’empiétaient pas sur ses heures de sagesse. Ses folies mêmes étaient peut-être plus verbales que réelles.

Lebrun, dans la fureur d’un paisible délire,

disait Buffon de celui qu’au XVIIIe siècle on considérait comme notre grand lyrique. Le mot doit s’appliquer à Chateaubriand. J’incline en tout cas à croire que la bagatelle ne l’a jamais sérieusement détourné des affaires sérieuses.

Et assurément il avait le tort, — impardonnable pour un homme qui se disait, et qui peut-être se croyait chrétien, — de ne pas paraître se douter qu’« on ne badine pas avec l’amour, » que les malheureuses femmes qui s’attachaient à lui étaient des êtres de chair et de sang, et qu’elles engageaient non seulement leur honneur, mais leur bonheur, parfois leur vie même, dans les aventures de leur sensibilité. Toutes celles qui se sont laissé prendre à la grâce de son sourire ou à l’enchantement de son verbe ont souffert profondément par lui. Mme de C… n’a pas du faire exception à cette règle. Et quant à Mme Récamier, l’intrigue avec Mme de C… qu’elle n’ignorait point, lui fut si douloureuse, qu’elle partit pour l’Italie afin de faire diversion à sa peine : quand elle revint/elle avait les cheveux tout blancs. La justice immanente lui faisait ainsi payer les larmes que sa beauté avait coûtées à Mme de Duras, — et à Mme de Chateaubriand.

Et Mme de C… elle-même ne devait pas rester longtemps sans rivale. « Soyez sûre, lui écrivait Chateaubriand le 16 mars