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généreux qu’il fût, je doute que Chateaubriand, pour la faire figurer dans ses Mémoires, ait poussé la galanterie jusqu’à la rajeunir de plus de trente ans[1]. J’aimerais mieux croire, avec Faguet, que l’héroïne des Mémoires, — si elle n’est pas inventée de toutes pièces, — est une simple « grisette. » Vogué lui-même, pour justifier son hypothèse, est obligé d’invoquer « les transpositions imaginatives » de Chateaubriand. Dans cet ordre d’idées, avec un poète comme René, tout est possible ; et peut-être, — nous y reviendrons, — le seul tort de Vogué est-il de n’avoir pas été assez hardi dans ses conjectures.


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Que faut-il maintenant penser de l’autre hypothèse de Vogué, la confession délirante de la Bibliothèque nationale inspirée par la destinataire des lettres plus délirantes encore de 1823 ?

Cet épisode de la vie amoureuse de Chateaubriand ne nous est pas connu dans le dernier détail. Quelques commérages mondains, une dizaine de lettres d’amour de René[2], si ardentes que j’hésiterais à en reproduire ici tous les termes, c’est à quoi nous en sommes réduits actuellement sur cette aventure. Que les amateurs de ces sortes d’histoires se consolent : il se trouvera bien quelqu’un pour leur en révéler, un jour, sans réticences, tous les « dessous. »

A en juger par le ton de ses lettres à Mme de C… (c’est Sainte-Beuve qui, le premier, a livré à la publicité le nom, ou plutôt l’initiale de cette « fort jolie et spirituelle dame »), Chateaubriand semble avoir été très pris et violemment secoué par cette passion soudaine : le « démon de midi, » — d’un midi un peu déclinant, car il a cinquante-cinq ans, — aurait fait des siennes. Vogué, dans une fort belle page, nous représente « le puissant homme d’Etat, » sous la lampe allumée dans son cabinet du boulevard des Capucines, « repoussant d’un geste impatient les dépêches, les lettres des rois et des

  1. Un « chateaubriandiste » de Bagnères de Bigorre, le Dr P. Gandy, m’écrit qu’ « il n’y a pas trace de son passage à Cauterets, » ce qui d’ailleurs « ne prouve rien, » les archives de Cauterets étant inexistantes.
  2. XXX [l’abbé Pailhès], Chateaubriand ; Faiblesses et confession de Châteaubriand (Annales romantiques, août-septembre 1904 ; juillet-octobre 1907) ; — Souvenirs du baron de Frénilly, publiés par Arthur Chuquet, 1 vol. Plon, p. 495. — Cf. Sainte-Beuve, Lundis, t. XIV, p. 377 ; A. Beaunier, Chateaubriand, Plon, t. II.