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Saint-Simon et par A. Thierry, son élève. Mélange d’utopies surprenantes et de fécondes théories, cette brochure eut un véritable succès. Elle est aujourd’hui tombée dans un complet oubli, mais les circonstances que nous traversons lui donnent un regain d’actualité.

L’ancien monde, disaient les auteurs, avait fait son temps. A sa politique de spoliations et de conquêtes, il fallait substituer une politique nouvelle. L’ère des haines était révolue, l’heure de la fraternité était proche.

Partout en Europe deux espèces d’intérêts se trouvaient en présence : l’intérêt général ou intérêt de la Société européenne, et l’intérêt particulier à chaque peuple.

Multiple dans ses besoins, l’intérêt de la Société européenne pouvait cependant se résumer en quelques formules : caractère européen imprimé aux travaux publics, franchise accordée à toutes transactions entre les peuples, l’instruction publique uniforme et obligatoire, confiée aux soins de la Société, conformité de législation en matière civile, commerciale et criminelle, liberté de conscience et de culte, promulgation d’un code de morale universelle. A un Grand Parlement appartiendrait le règlement de toutes ces questions : seul, il voterait les impôts d’intérêt européen, seul il réglerait les conflits entre nations. « Ainsi, il y aura entre les peuples ce qui fait la base et le lien de toute association politique- : conformité d’institutions, union d’intérêts, rapport de manières, communauté de morale et d’instruction publique. »

Sans doute, les auteurs ne l’ignoraient point, l’Europe était bien loin encore de cet idéal désiré, — et pourtant ils avaient bon espoir : « Un temps viendra, proclamaient-ils, où tous les peuples de l’Europe sentiront qu’il faut régler les points d’intérêt général avant de descendre aux intérêts nationaux. Alors les maux commenceront à devenir moindres, les troubles à s’apaiser, les guerres à s’éteindre. C’est là que nous tendons sans cesse, c’est là que le cours de l’esprit humain nous porte. Mais lequel est le plus digne de la raison de l’homme, s’y traîner ou bien y courir ? »

Ainsi, pleins d’un robuste espoir dans l’avenir, confiants dans cette puissance infinie de perfection, apanage de la nature humaine, ils prédisaient le jour où l’égoïsme serait relégué de la terre, où serait à jamais tarie la source des larmes.