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donnât à boire. Il ne permettait pas que l’on eût de la lumière : le flambeau couvert, où il ne brûlait qu’une bougie, était caché dans la pièce voisine (la chambre à coucher), de sorte qu’on n’était éclairé que par une très faible lueur, qui ne permettait pas toujours de voir ce que l’on avait à faire. On allait à tâtons pour ainsi dire. Une nuit, après avoir ôté à l’Empereur son gilet de flanelle et lui avoir essuyé le dos et les côtes avec ce même gilet, je m’embrouillai en lui passant l’autre gilet, gêné que j’étais par l’oreiller et ne voyant pas assez clair. Le gilet n’étant pas mis aussi bien ni aussi vite qu’il le fallait, il s’impatienta, s’emporta, me dit quelques mots dont je ne me souviens plus, et m’envoya chercher Marchand, ce que je fis immédiatement, et Marchand, étant arrivé, acheva ce qui restait à faire. Parfois, dominé par la crainte de mal faire, j’étais maladroit et l’Empereur était très prompt. Les nuits précédentes, cependant, tout avait été pour le mieux, et, cette fois-ci, je m’y étais pris de la même manière que précédemment.

Le lendemain, mon service changea. Je fus remplacé par M. de Montholon, et lui et Marchand se partagèrent la nuit ; le premier veillait jusqu’à minuit ou une heure, et le second depuis cette heure jusqu’au matin ; moi, je ne fus plus que pour préparer ce qu’il fallait à l’Empereur et aider à ces messieurs. Dès lors, ce ne fut plus qu’accidentellement qu’il m’arriva de faire quelque chose autour de sa personne. Cependant je le gardais en l’absence de l’un ou de l’autre de ces messieurs.

L’Empereur, après quelques visites du docteur Arnott, voyant qu’il n’éprouvait aucun soulagement, lui demanda un jour, à la suite de force questions faites sur ses campagnes, ses voyages, sa famille, sa fortune, s’il mourrait de la maladie qui le retenait là au lit et combien de chances pour qu’il revînt à la santé, et combien de chances contre. Le docteur répondit qu’il n’y avait pas de doute que les chances favorables fussent les plus nombreuses. Mais l’Empereur, qui sentait sa position, pensant que si M. Arnott parlait ainsi, c’était une de ces précautions en usage chez les médecins pour ne pas détruire toute espérance dans l’esprit du malade, lui dit : « Ne craignez pas de parler, docteur ; vous avez affaire à un vieux soldat qui aime la franchise. Dites… que pensez-vous de moi ? » Le docteur continua de parler dans le même sens qu’il avait commencé, cherchant à éloigner de la pensée du malade tout ce qui