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comme dans l’autre, cette politique a échoué devant la résistance passive ou active d’Érin. Les lois martiales n’ont pas ramené le calme. Les Black and Tans n’ont pas eu raison des gunmen. La trêve a été signée sans qu’on ait « cassé les reins au terrorisme. » La violence, pour réussir, doit faire vite : sans quoi l’adversaire a le temps de s’y habituer et de trouver la riposte, sans compter que l’opinion se trouble et proteste, et que l’étranger s’émeut. En juin 1921, l’échec de la politique militaire et des « représailles » est avoué par le Secrétaire en chef pour l’Irlande comme par le Chancelier d’Angleterre. On n’est parvenu ni à empêcher les attentats extrémistes ni à réduire les bandes de républicains qui tiennent la campagne : ce qui donne au Sinn Fein à penser qu’il est invincible. On n’a réussi qu’à s’aliéner les unionistes et les modérés du Sud, à surexciter, au lieu de l’étouffer, le nationalisme irlandais, à nourrir pour des générations les foyers de haine contre l’Angleterre. Plus que jamais l’Irlande se refuse au joug anglais.

Regardons maintenant du côté irlandais. Si le Sinn Fein n’a pu venir à bout de la domination britannique par la résistance passive, s’il n’a pu faire reconnaître les droits d’Erin par le tribunal des Nations, on ne peut dire non plus qu’il ait triomphé, par les armes. Il a tenu bon contre l’Angleterre : c’est tout. Mais c’est beaucoup.

Il jouait gros jeu. Les Fenians eux-mêmes n’avaient fait que des « coups » de force, des coups de théâtre destinés à ouvrir les yeux et à faire réfléchir : ils n’avaient pas fait de la force une politique. Et voilà que le Sinn Fein, seul et sans secours, prétend faire plier par la violence la puissante, l’opiniâtre, la victorieuse Albion ! La partie perdue, c’aurait été pour le pays la fin de tout, la mort sans phrase. S’il a risqué la gageure, on peut se l’expliquer, en partie du moins, par l’effet d’influences extérieures. De même qu’en 1798 et en 1848, c’est la révolution sur le continent qui a fait lever la rébellion irlandaise, de même, en 1919-1921, c’est un contre-coup de la Grande Guerre qu’il faut voir dans la guerre des Iles britanniques : le drame de l’Irlande n’est à tout prendre qu’un épisode du grand drame du monde.

Elle en sort intérieurement fort éprouvée, au double point de vue politique et économique. D’une part, l’extrémisme a compromis l’avenir de son unité nationale en éloignant d’elle