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disposition des peuples. Entre les différents aspects de l’extrémisme irlandais, il y avait ainsi avant la guerre des divergences, mais il y avait aussi un fond commun. La haine de l’Angleterre d’abord, du moins de l’Angleterre en Irlande, cette haine dont M. Lloyd George disait naguère que « des siècles d’injustice barbare, et, ce qui est pis, des siècles d’injures et d’insolences, l’ont enfoncée jusqu’à la moelle de la race irlandaise. » Puis cette croyance que, contre l’ennemi qui sans droit occupe le pays et le tient sous le joug, tout est permis : l’opportunité des moyens se discute, leur légitimité non. Cette conviction encore que l’Irlande ne pourra « avoir sa chance » et vivre sa vie qu’une fois séparée de l’Angleterre, et que l’affranchissement ne sortira jamais de la force morale, par libre don d’un gouvernement étranger dont la parole n’a plus cours et dont le seul but est de gagner du temps vis-à-vis de ce malade, l’Irlande, jusqu’à ce que le malade meure, c’est-à-dire que, par l’émigration ou l’anglicisation, la question irlandaise ait disparu d’elle-même. Rien dans cet extrémisme qui sente la lutte des classes, rien qui rappelle l’Internationale ou le Bolchévisme. Sa cause profonde n’est que dans un fait politique, le joug de l’étranger ; elle n’est pas dans le mauvais gouvernement de l’Angleterre, mais dans le fait même de la domination britannique : Not foreign government, but foreign rule is Ireland’s bane, disait Wolfe Tone. Son cri est celui de Mazzini et de Garibaldi : Fuori i barbari !


II

Si l’effort constitutionnel avait réussi, si l’Angleterre avait su faire à temps les concessions nécessaires, l’extrémisme aurait probablement perdu, avec sa raison d’être, l’être même, et se serait de lui-même éteint peu à peu. Il n’en fut pas ainsi, et tout au contraire la guerre vit et fit en Irlande la victoire de l’extrémisme : non pas à vrai dire celle du néo-fenianisme qui, allié aux forces ouvrières, s’essaya malheureusement à la révolution dans la semaine de Pâques 1916, mais celle du Sinn Fein. C’est dans le Sinn Fein qu’elle jette et fond comme dans un creuset toute l’Irlande nationale : mais en même temps, ce Sinn Fein, elle le transforme, et de cette doctrine elle fait un parti et une action.