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lieux que les nôtres ont illustrés, à Franeker, à Harderwijk, à Egmond, à Deventer, à Utrecht, dans lesquels vécut Descartes, à Amersfoort, qui est comme l’asile du Jansénisme français, à Amsterdam, où l’ombre de Descartes peut aussi rencontrer l’ombre de Spinoza, mais surtout à Leyde, dont nos étudiants ont oublié le chemin, et où ils furent jadis si nombreux que partout dans les rues retentissaient ou les « À Diu sias ! » ou les « Dieu vous conduise. »

« Entrez avec respect, non pas seulement dans l’église Saint-Pierre, où reposent Scaliger, Polyander, de l’Ecluse, près de Christian Huygens, ce qui est un symbole encore, mais dans le vieux cloître qui abrite l’Université. Songez que dans cette salle de philosophie fréquenta Guez de Balzac, et que dans un même amphithéâtre, on vit se pencher curieusement sur les cadavres et assister à la « Leçon d’Anatomie, » en 1615, le « libertin » Théophile, en 1637 le croyant Descartes. Voyez passer devant la loge du « Pedel, » ou bedeau, alors Louis Elzevier, moitié concierge, moitié libraire, la toge traînante de Doneau, la robe rouge à col d’hermine du petit vieillard à barbe blanche, Joseph-Juste Scaliger, « lumière de cette Université. »

Anabaptistes de Warmond, illuminés de Rhijnburg, jansénistes d’Amerfoort, qu’ont de commun ces mystiques avec Scaliger, Saumaise, l’Écluse, Descartes, Spinoza, avec les représentants de la science, de l’étude rationnelle ?

Ne sont-ce pas deux mondes incompatibles, éternellement en guerre ? Ils ont ceci de commun d’être également le domaine de l’esprit, d’exiger également la souveraineté, la liberté de l’esprit.

Mais, est-ce bien la vertu du sol qui destina la Hollande à être l’asile habituel de l’esprit ?

J’admire les pages émouvantes de M. Maurice Barrès.

« Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse (ou spirituelle)…

« D’où vient la puissance de ces lieux ?… »

« Illustres ou inconnus, oubliés ou à naître, de tels lieux nous entraînent, nous font admettre insensiblement un ordre de faits supérieurs à ceux où tourne à l’ordinaire notre vie… Il semble que chargées d’une mission spéciale, ces terres doivent intervenir d’une manière irrégulière et selon les circonstances,